Reflets en noir et blanc
Du vent, des nuages blancs et le soleil juste derrière : c’est la recette de la nature pour fabriquer des motifs en noir et blanc à la surface de l’étang de Monet à Giverny.
Autant cette surface peut faire office de miroir quand l’air est calme, autant elle s’amuse à se fragmenter en une multitude de touches en virgules dès que la brise l’agite.
L’oeil se laisse captiver par la danse interminable du reflet, par ces lueurs mouvantes accrochées à la masse liquide.
Pas besoin d’une grande débauche de coloris.
Il y a, dans la sobriété de la palette mise en oeuvre, un contraste frappant avec l’opulence ondoyante des formes, qui donne à cette dernière encore plus de présence et d’impact.
Faire et défaire
A voir la façade du palais de Versailles, si régulière, ordonnée, aboutie dans son unité, on ne devinerait jamais par quels soubresauts architecturaux le bâtiment en est passé avant de parvenir à ce qu’il est aujourd’hui. On croit être face à l’oeuvre d’un homme mégalomane et visionnaire. On s’aperçoit, en découvrant l’histoire du château, que Louis XIV et ses architectes naviguaient à vue.
Les grands travaux commencés en 1661 vont se poursuivre jusqu’à la mort du roi en 1715. Cinquante-quatre ans de chantier, c’est long et c’est court en même temps étant donnée l’ampleur du bâti. Un mot revient sans cesse : remaniement. On enveloppe des façades, on ferme des terrasses, on démolit des toitures pour les refaire, parce qu’elles n’étaient pas assez gaies. On casse des pièces à peine achevées avec autant de désinvolture que s’il s’agissait de Legos. La chapelle ne cesse de changer de place. Des balustrades, des volières somptueuses, apparaissent puis disparaissent sans remords.
C’est le pouvoir absolu, ce mépris des efforts des autres par pur caprice. Le coût supporté par le peuple fait frémir, le coût de la construction surdimensionnée elle-même et celui du gaspillage.
C’est effrayant, cette fuite en avant d’un roi à qui son orgueil ne laisse pas de repos. Cette anxiété du paraître.
Un petit détail en dit long. Au moment où la galerie des Glaces est bâtie dans le corps central du château, l’architecte Hardouin-Mansart opte pour des ouvertures en plein cintre. Les ailes situées de chaque côté étaient antérieures, et elles avaient des ouvertures rectangulaires. Par respect pour la symétrie, Mansart fait substituer des fenêtres en plein cintre à toutes les ouvertures des façades sur les jardins. C’est coûteux et ça ne sert à rien, mais il ne faudrait pas qu’on puisse trouver un détail à critiquer dans l’agencement général du château.
Si on gratte un peu le vernis, on s’aperçoit du trompe-l’oeil. Dans cinq pièces de l’appartement du Roi, il y a désaccord entre l’intérieur et l’extérieur des fenêtres. A l’intérieur, elles sont restées rectangulaires. Leur cintre est aveugle, il est habillé de vitrages qui donnent sur le mur.
La fin des moulins
Autrefois, sur les ponts, il y avait des moulins. Souvent on ne sait pas très bien quand leur construction a commencé, ni quand ils ont cessé de fonctionner. A Vernon en revanche, ces deux évènements sont précisément datés.
En 1196, Philippe-Auguste, qui vient de s’emparer de Vernon, fortifie le pont sur la Seine. Pas question de moulin alors : le pont est un ouvrage militaire, sis à la frontière du Duché de Normandie, à deux pas des Andelys où Richard Coeur de Lion est en train de bâtir Château-Gaillard.
Tout change en 1204 : après la mort du roi d’Angleterre, le roi de France prend la forteresse andelysienne et envahit la Normandie.
Plus besoin d’un pont fortifié au milieu du royaume de France ! Philippe-Auguste récompense ses compagnons les plus fidèles en leur octroyant des concessions de moulins et de pêcheries sur les arches du pont de Vernon. Un acte passé en 1204 au bénéfice d’un certain sieur Platras est arrivé jusqu’à nous.
La meunerie en Seine s’est poursuivie jusqu’au 19e siècle, très exactement jusqu’au 29 octobre 1849. La veille, elle faisait encore vivre une dizaine de familles, grâce à cinq moulins qui ressemblaient beaucoup à notre Vieux Moulin, le dernier rescapé. Du jour au lendemain, les meuniers sont privés d’emploi. Le courant manque pour faire tourner les roues et les meules, car on vient de mettre en eau le barrage de Notre-Dame de l’Isle, en aval de Vernon.
Ce barrage est le tout premier ouvrage construit sur la basse Seine. Beaucoup d’autres viendront.
En 1849, le fleuve n’est pas encore régulé. Il est plus large et moins profond, tout encombré d’îles. En été, le tirant d’eau est de 80 cm à peine. L’aménagement de la Seine va permettre de faciliter la navigation et de limiter les effets des crues. Le chenal recreusé sera plus profond. Les matériaux rejetés sur les côtés vont créer de nouvelles berges.
Le seul hic avec le barrage de Notre-Dame de l’Isle, c’est qu’on a omis de prévoir une indemnisation pour les meuniers vernonnais. Ceux-ci entament alors une extraordinaire bataille juridique contre l’Etat, qui va les mener deux fois devant la cour de Cassation et deux fois devant le conseil d’Etat, et qui fera jurisprudence. Les tout derniers soubresauts de l’affaire sont datés de 1869… vingt ans plus tard. Mais l’histoire finit bien, les meuniers auront gain de cause et seront indemnisés rétroactivement.
Et le Vieux Moulin ? Nommé moulin Duvivier, du nom de son dernier propriétaire et meunier, il daterait de 1478. Situé du côté « calme » de la Seine, il a échappé à la démolition. Il a eu la chance de rester habité assez longtemps pour se maintenir en place jusqu’aux années 1970. Il était alors bien fragile. Mais la conscience patrimoniale, qui est allée grandissant au fil du temps, était devenue assez forte pour que la ville de Vernon se lance dans son sauvetage.
Merci à Jean Baboux, du Cercle d’Etudes Vernonnais, dont la conférence sur « la fin des moulins du pont de Vernon » est à la source de ce billet.
Pastel de Monet
Pont de Waterloo, Claude Monet, 1901, pastel sur papier, collection particulière
Les oeuvres sur papier de Claude Monet, ce qu’il est convenu d’appeler des dessins, ne sont pas aussi connues que ses huiles sur toile. Elles n’en sont pas moins fascinantes, comme celle-ci, issue de la collection Dyke, qu’on peut voir jusqu’au 31 octobre 2012 au musée des impressionnismes de Giverny.
Le pastel permet un travail rapide propre à saisir la lumière d’un instant. Il offre des possibilités de fondus, d’estompe idéales pour les effets de brouillard que Monet aimait. C’est aussi un matériel léger, facile à emporter partout.
A son arrivée à Londres en janvier 1901, Monet doit patienter jusqu’à l’acheminement de ses toiles inachevées expédiées depuis Vernon dans des caisses. Pour tromper l’attente et réapprivoiser les motifs qui s’offrent à lui, le peintre a pris soin d’emballer dans ses bagages à main de quoi dessiner au pastel.
Cet extraordinaire Pont de Waterloo saisi depuis sa chambre au sixième étage de l’hôtel Savoy magnifie la silhouette du pont sur la Tamise enfoui dans le fog. Du rose au bleu, les teintes se fondent en ombres fluides, laiteuses, liquides, où se devinent les arches du pont et les véhicules éclairés qui circulent dessus.
Monet écrit à son épouse Alice que cela l’amuse beaucoup de reprendre les pastels. Il considère ces dessins comme des exercices préparatoires. Une fois les caisses arrivées, le travail est d’autant plus rapide : il a, dit-il,
bien travaillé aujourd’hui, ce qui te fera plaisir. C’est grâce à mes pastels faits promptement qui me font voir comment il faut faire.
Au total le peintre réalise en quelques jours 26 pastels de Londres, qui constituent la série la plus complète et la plus précisément datée des oeuvres au pastel de Claude Monet.
Les camions en moins
Le bonheur aura duré quatre jours. Vendredi dernier, un joli panneau « interdit aux camions » a fleuri à Vernonnet, au bout de la route de Giverny. Quelle joie ! Enfin les poids lourds étaient priés d’emprunter un autre itinéraire, rejoindre Gasny par le plateau du Vexin ! Enfin ils cessaient de vrombir dans les jardins de Monet !
J’avais déjà écrit un billet enthousiaste où je me demandais à qui, parmi nos édiles, nous devions cette bénédiction, quand mardi, le panneau a été retiré.
Bien qu’elle ait eu toutes les caractéristiques d’une signalisation définitive, il faut croire que l’interdiction de circulation des camions était en lien avec les travaux en cours, à savoir la création de brise-vitesse.
Pourquoi ce qui avait été possible pendant quatre jours ne pouvait pas s’inscrire dans la durée ? Le résultat avait été immédiat, beaucoup moins de bruit et de nuisances dans les jardins de Monet. La route qui traverse la propriété du maître de l’impressionnisme avait retrouvé un peu de calme, sans les très nombreux poids lourds qui l’empruntent chaque jour pour gagner Pontoise et s’éviter l’autoroute payante.
Je n’ai rien contre les camions, ils sont indispensables. Mais chaque année, pour 500 000 personnes venues de loin goûter la sérénité de l’univers créé par Monet, ils sont insupportables. Quand il pleut, on ne s’entend plus.
Ô chers maires Noël, conseiller général génial, ministre de la Culture adoré, quand vous descendrez du ciel de vos hautes responsabilités, pensez s’il vous plaît à prendre ou à solliciter une mesure de bon sens, dévier le fret routier de Giverny. Même si les touristes ne sont pas vos électeurs, ils ont droit à la considération.
Ouverture le 30 mars 2013
L’an prochain, Pâques tombe le dernier week-end de mars.
A cette occasion, la direction de la Fondation Claude Monet a décidé d’avancer la date de réouverture des jardins de Giverny.
Celle-ci aura lieu dès le samedi 30 mars au matin.
On pourra venir savourer les prémices du printemps deux jours plus tôt que d’habitude.
Crosses de fougères sous le vieux saule
Jardin d’eau de Claude Monet
4 avril 2012
Les couleurs d’octobre
Voici l’aspect du clos normand de Claude Monet en ce moment. Cette photo a été prise dimanche dernier vers 9h30, alors que la brume cédait doucement la place au ciel bleu. Ce sont des ambiances merveilleuses, typiques de l’arrière-saison dans le val de Seine.
Si vous venez dans les prochains jours, vous verrez de magnifiques dahlias, des cosmos, des asters, des roses, des tournesols, des sauges, des zinnias, des bégonias, des pétunias, des géraniums, des capucines, des asclepias, des daturas, des rudbeckias, des coreopsis, des ricins, des amarantes, des cufeas, des impatiences… pour citer les fleurs les plus marquantes. Toutes se déclinent en d’innombrables variétés, aux formes et aux coloris extraordinaires. C’est une fête pour les yeux.
L’automne est très beau à Giverny, à la fois éclatant et doux. Aujourd’hui les lumières sur le bassin étaient incroyables. Les feuillages se parent de jaune, l’étang frissonne sous la brise, les derniers nénuphars boutonnent en rose le reflet du ciel. Avec les quelques visiteurs qui se trouvaient là, nous avions une impression de privilège. On ne pouvait pas se lasser de regarder ce tableau mouvant.
Vous hésitez encore ? Si vous aimez la générosité, la profusion, la magnificence, l’excès, et la mélancolie tendre de l’automne, venez vite ! Vous aurez tout cela, l’émotion sera là. Mais n’attendez pas, octobre amorce le déclin des fleurs.
Si vous préférez les couleurs tendres, l’aspect net, neuf, bien rangé, patientez plutôt jusqu’au printemps.
Chardonneret
Dans le jardin de fleurs de Claude Monet, les tournesols sont arrivés à maturité, une info qui s’est répandue comme une traînée de poudre chez les chardonnerets. Ces petits oiseaux familiers des jardins ne dédaignent pas de varier les plaisirs. Il n’y a pas que les graines de chardon dans la vie.
Les chardonnerets aiment se nourrir dans la convivialité : à plusieurs dans le même bouquet de fleurs, chacun devant son assiette.
Si on rapportait la taille de l’oiseau à celle d’un être humain, la fleur de tournesol serait aussi grande, disons, qu’un tourniquet de square. Cela représente une quantité énorme de nourriture pour ces petites bêtes. Même pas peur ! Avec méthode, le chardonneret cueille l’une après l’autre les graines de tournesol, les décortique habilement de son gros bec prévu pour, laisse tomber l’enveloppe au sol et avale l’intérieur.
Cette manip’, effectuée sans hâte, lui prend quelques secondes. Une petite pause, quelques mouvements de tête, et hop ! on passe à la graine suivante.
Comme le chardonneret a de l’éducation, il se tient bien en société. Sa maman lui a appris qu’à table, on met les pieds dans le plat, juste au bord, et que la position la plus chic est tête en bas.
Une fois de plus le monde animal fait la démonstration de son indéniable supériorité sur les humains. Vous vous voyez en train de défaire un bonbon de son papier sans les mains, et de l’avaler en faisant le cochon pendu ? Rien qu’à l’imaginer on sent déjà que ça se passerait mal.
Côté vestimentaire, le chardonneret affiche un penchant prononcé pour le costume d’Halloween. Sous le loup mystérieux qui lui barre les yeux, il porte un masque couleur citrouille, tandis que son dos noir à marques blanches évoque un déguisement de squelette.
Comme d’habitude, c’est le mâle qui en fait un peu trop. La femelle est plus discrète.
Taxodium
C’est comme pour les gens : il y a ceux qu’on aime et dont la mort nous peine, et d’autres qui ne nous sont rien et dont la disparition ne nous fait pas grand chose.
La tempête de lundi a laissé des traces dans le jardin de Monet. Elle a décapité le taxodium, ce majestueux conifère à feuilles caduques qui pousse entre rivière et bassin et se transforme en un flamboyant panache roux en octobre.
L’avis des experts est tombé comme un couperet : l’arbre ne s’en remettra pas, il faut l’abattre. Son voisin le gros liquidambar, trop fragilisé, doit subir le même sort.
Un premier taxodium avait déjà dû être supprimé il y a plusieurs années. On pouvait s’attendre à ce que son compagnon se brise à son tour : la peupleraie n’est plus là pour faire office de coupe-vent. L’arbre n’est pas vieux, quarante ans à peu près, mais le taxodium n’est pas très résistant.
Hier, la tronçonneuse a vrombi, tandis qu’une bonne partie du jardin d’eau était inaccessible au public. De l’autre rive on pouvait voir l’arbre se faire débiter par morceaux.
Le mois prochain le taxodium ne jouera pas sa partition rousse dans le grand concert de l’automne. Son allure d’écureuil ébouriffé va nous manquer, tout comme son tronc puissant qui jaillissait vers les hauteurs. Et ses petites aiguilles d’un vert si tendre en avril.
Je suis moins triste pour le liquidambar, ce qui est certainement injuste. L’automne est la saison où il est en beauté, chacune de ses feuilles se transforme en étoiles de tous les tons de rouge. Mais il y a deux autres liquidambars à côté…
Silphium
Voici la vivace la plus gigantesque du jardin de Monet à Giverny : le silphium, une plante vigoureuse à la tige carrée qui culmine à un bon 3 mètres.
A partir de juillet, tout là haut là haut, on aperçoit ses fleurs jaunes en forme de marguerites qui composent un abondant bouquet. Il faudrait être Gargantua pour en profiter. Nous autres pauvres petits humains, on a les yeux dans les feuilles, épaisses, rêches et costaudes. Elles sont disposées deux par deux de chaque côté de la tige et soudées par leur base, ce qui donne l’illusion que la tige puissante les traverse, d’où le nom de silphium perfoliata.
Cette plante, c’est du solide, elle est capable de résister à tout grâce à ses racines très profondes. C’est un peu comme un arbre qui repousserait chaque année. On en prend pour cinquante ans : de quoi la faire élire par les jardiniers paresseux.
Cette vivace est originaire d’Amérique du Nord, appréciée au Québec, et c’est un bonheur de lire sur les forums de nos amis canadiens des formules telles que « j’ai semé des graines l’an dernier, et cette année elle est rendue à six pieds ! »
Le silphium appartient à la famille des asteracées, des fleurs composées avec un coeur et des pétales qui figurent des rayons de soleil. C’est le grand Linné qui lui a donné son nom, à une époque où on refilait volontiers au dernier-né le prénom d’un aîné décédé. Notre silphium porte le patronyme d’une plante de l’Antiquité disparue depuis 2000 ans.
Le seul point commun, ce serait la couleur. Le silphium antique fleurissait jaune lui aussi. Toute ressemblance s’arrête là.
Le silphium antique était une ombellifère qui avait un peu l’aspect du fenouil. Il poussait dans la région de Cyrène, dans l’actuelle Libye. (Cyrène, ville d’origine de Simon qui a porté la croix du Christ.) Les ruines grecques encore très impressionnantes témoignent de l’importance de ce comptoir grec sur la rive africaine de la Méditerranée.
Le silphium antique fait partie de ces plantes qui ont une histoire incroyable. C’était une vraie star, il était tellement recherché qu’on le vendait à un prix hallucinant, son poids en argent. Il a fait la fortune de la cyrénaïque. La monnaie locale portait le dessin de cette plante.
Malheureusement le silphium ne se laissait pas cultiver. C’est probablement la surexploitation de la plante sauvage qui a conduit à son extinction rapide.
Quel était donc le secret du silphium ? Il avait un usage condimentaire et médicinal, comme beaucoup d’autres plantes. Mais l’une de ses applications thérapeutiques me paraît expliquer mieux que les autres l’engouement dont il a fait l’objet. Le silphium avait des vertus contraceptives et abortives. Il était recherché comme « pillule » et « pillule du lendemain ».
Anges musiciens
La collégiale de Vernon a conservé quelques rares vitraux de la fin du 15e siècle. Ces anges musiciens sont, c’est logique, situés tout en haut d’une verrière, dans son remplage flamboyant. Autant dire qu’on ne voit pas grand chose à l’oeil nu. Mais le téléobjectif révèle la richesse des détails.
Pour avoir des explications sur des vitraux, un ouvrage fait référence : le corpus vitrearum. Ce n’est pas tous les jours qu’un livre a un titre en latin, signe de son universalité. Il s’agit du recensement scientifique de toutes les verrières anciennes de notre région. Le sous-titre de cette somme est « Les vitraux de Haute-Normandie ». (Monum, éditions du Patrimoine).
La notice concernant cette verrière précise que les ajours du tympan comptent onze anges musiciens, deux séraphins et deux chérubins. Elle a été peu restaurée, à l’exception de l’ange du sommet et des chérubins, qui sont l’oeuvre de l’atelier ébroïcien Duhamel-Marette en 1882. Je suppose qu’il s’agit des trois ci-dessous, même si les ailes des chérubins sont théoriquement bleues.
Sur l’ange de gauche, on voit de nombreux plombs de casse, signes qu’une nouvelle restauration serait nécessaire. Aujourd’hui on utilise des colles plutôt que des plombs, ce qui permet de conserver la lisibilité de l’image.
Les séraphins sont faciles à reconnaître : ils ont trois paires d’ailes rouges.
Parmi les instruments pratiqués par les anges, je crois reconnaître à droite un luth, une harpe, à gauche une viole et un orgue portatif, au milieu droite un biniou, tout en haut des cymbales. Si vous identifiez les autres, merci de me renseigner.
Journées du Patrimoine
L’info ne vous aura pas échappé, ce sont les Journées du Patrimoine ce week-end.
A Giverny, L’accès est gratuit au musée des Impressionnismes. C’est l’occasion de voir la magnifique expo de dessins impressionnistes qui nous vient de Washington.
La Fondation Monet accorde à tous un tarif réduit, 5 euros l’entrée.
Il fait un temps superbe, le jardin est splendide, les visiteurs vont se régaler.
Si vous avez décidé de venir aujourd’hui, attendez-vous à ne pas être les seuls.
Graines
En fin d’été arrive la saison des graines. Les fleurs fatiguées de faire les belles pour les insectes pensent à l’avenir. Les voilà tout à coup métamorphosées en semences, équipées des dernières avancées technologiques des mutations, prêtes à s’élancer dans l’univers à la conquête de nouvelles terres.
Les graines de l’asclépia, ci-contre, s’ornent d’un énorme panache blanc pour mieux se laisser emporter par le vent. Grâce à cette houpette soyeuse, leur volume se voit considérablement multiplié, mais non leur poids. C’est juste ce qu’il faut pour jouer dans les bourrasques avant de finir par toucher le sol ailleurs, en espérant qu’il soit fertile.
Certaines plantes ont des graines si jolies, si graphiques, qu’elles constituent l’un de leurs principaux attraits. C’est le cas de la monnaie du pape, ou lunaire, une fleur de la famille des crucifères qui fleurit mauve au printemps. Elle nous est plus familière à maturité. Les graines de la monnaie du pape, plates, rondes et aux reflets argentés, lui ont valu son nom. On adorait autrefois en faire des bouquets secs, mais je crois que la mode en est un peu passée, aujourd’hui où tant de personnes sont allergiques à la poussière.
Au printemps dernier, alors que la lunaire fleurissait et que j’évoquais son avenir proche, sa gloire passée, son discrédit présent qui la rend rare dans les catalogues, et mon souhait de la cultiver pour sa beauté printanière, une de mes clientes m’a dit qu’elle en avait dans son jardin. Elle a promis de m’en envoyer des graines, la saison venue.
C’était une promesse charmante, et j’ai été touchée de cette gentille pensée. Le genre de promesses dont on sait qu’elles vont s’envoler au vent d’ici là, à peine le portail franchi. Soi-même, très vite, on n’y pense plus.
Cette semaine, j’ai reçu, intriguée, une enveloppe matelassée à l’en-tête d’une banque. Elle contenait un sachet de graines accompagné d’une jolie carte. C’était ma cliente de juin, banquière, qui m’envoyait les graines promises. Des graines de monnaie du pape, prêtes à pousser et fructifier dans mon jardin.
L’image était plaisante, mais je ne l’ai pas vue tout de suite. J’étais bien trop émue de recevoir ce cadeau. Il a ensoleillé ma journée.
Je vais semer les graines dans une bordure et en guettant leurs progrès, je sais que je penserai à la banquière qui a joué le rôle du vent. J’espère que le récit de son joli geste ici fera comme les graines de fin d’été, qu’il s’envolera pour aller pousser en terrain fertile. De mon côté j’ai décidé qu’aujourd’hui moi aussi, j’allais faire plaisir à quelqu’un, comme ça, gratuitement. Et ce n’est pas une promesse en l’air.
Giverny à New York
Photo Talisman Brolin : recréation de la grande allée de Monet au New York Botanical Garden
A priori, le Bronx n’est pas le quartier de New York qui figure en tête des incontournables pour qui visite la mégapole américaine. Mais si je pouvais faire un saut outre-Atlantique, je suis sûre que je commencerais par là. Le jardin de Claude Monet a été recréé cette année dans la grande serre du jardin botanique de New York, situé, vous l’aurez deviné, dans le Bronx.
Depuis le mois de mai, les médias se sont fait largement l’écho de l’évènement, y compris les médias français. Il y a de quoi, car l’équipe en charge du projet a travaillé trois ans pour le mettre en place. La serre a imposé sa forme allongée, c’est donc le grand axe du jardin de Giverny qui a été reproduit de la façade de la maison jusqu’au pont japonais.
Ce n’était sûrement pas une mince affaire de copier les structures, portail, arceaux, pont, persiennes… Mais donner une idée des plantations aussi était un challenge. 450 variétés de plantes ont été sélectionnées pour fleurir tout au long de la saison jusqu’au 21 octobre. Sur cette surface réduite, elles donnent une bonne idée de la palette des floraisons de Giverny, où quelque 4000 végétaux différents s’épanouissent.
Pour parfaire le projet, les organisateurs ont obtenu le prêt de deux tableaux (Le jardin aux Iris et Iris d’une collection particulière suisse), ainsi que de documents qui se trouvent d’ordinaire à Paris. Faute de place dans la serre, les nymphéas s’étalent dans un bassin à l’extérieur, en compagnie de lotus.
Oui, je sais, il n’y a pas de lotus à Giverny. Mais qui prétend que c’est Giverny ? Seuls les journalistes qui n’ont pas mis le pied en Normandie depuis longtemps utilisent le terme de copie conforme, et même de réplique.
De l’avis des New-Yorkais qui m’en ont parlé cette année, l’expo du jardin botanique est un hommage au maître de l’impressionnisme. Elle s’inspire de son jardin. « C’est très joli, mais ça n’a rien à voir avec ça », disent-ils en embrassant du regard l’étendue fleurie de Giverny.
Certains se souviennent de la perfection des fleurs, bêtes de serre jamais confrontées aux intempéries ou aux ravageurs, impeccables comme chez le fleuriste. Pourquoi avoir choisi une serre pour y figurer un jardin situé à une latitude similaire ? Mystère.
Au-delà de l’aspect factice de la repro, l’universalité de Monet se vérifie une fois de plus. Il fait bouger les foules partout dans le monde. Se réclamer de lui pour un évènement, c’est le succès garanti.
Surtout, ce qui me touche dans cette exposition, c’est sa francophilie manifeste. Ce projet n’aurait pas été possible il y a quelques années à peine, quand le beaujolais coulait dans les caniveaux et que les frites, les french fries, étaient débaptisées.
Enfin, j’admire l’enthousiasme américain. Sûrs que le public sera au rendez-vous, les organisateurs ont prévu quantité d’animations autour du thème de l’expo du Botanical Garden. C’est comme une année Monet à New York.
Ils y croient, à leur idée. C’est impressionnant, toute cette énergie prête à déplacer des montagnes. Qui lancerait un projet équivalent en France ? Et qui le financerait ? L’enthousiasme des New Yorkais est tel qu’ils n’ont pas hésité à mettre les entrées à la serre à 20 ou 25 dollars.
A titre de comparaison, l’entrée au vrai Giverny est à 9 euros cette année. Et déjà, on trouve ça cher.
Démeulonner
Claude Monet, huile sur toile 1890 Prairie à Giverny, Fukushima Prefectural Museum of Art, Japon
Ce paysage de Giverny peint par Claude Monet au printemps 1890 est l’un des chefs-d’oeuvre du musée de Fukushima, au Japon. Le monde entier, hélas, a appris le nom de cette préfecture japonaise ; pour une fois, plutôt que de le faire rimer avec une catastrophe majeure, associons-le avec celui de Monet.
Au beau milieu de la toile, en plein dans les verts et les bleus, une tache brune, presque orange, accroche le regard. C’est une meule.
Jusque-là, on ne peut pas beaucoup se tromper. Mais s’agit-il d’une meule de foin ou d’une meule de blé ? Je penche pour la première : on est dans une prairie, ce doit être de l’herbe coupée, séchée et mise en tas. Juin peut-être.
En juin, il était bien trop tard pour démeulonner. C’est l’une de mes collègues, née dans une ferme de Haute-Normandie, qui m’a appris ce joli mot qu’elle a retenu comme un souvenir d’enfance. Démeulonner, c’est défaire la meule pour passer les gerbes de blé au tarare afin d’en extraire les grains, dans des nuages de poussière.
Remontons le calendrier agricole. Avant de démeulonner, il faut meulonner. Le temps de la moisson s’annonce quand l’épi de blé bascule. Tant qu’il n’est pas mûr, il est dressé vers le ciel. A maturité, l’épi se recourbe vers le sol. Il est temps de le couper et de le lier en bottes.
Celles-ci sont mises à sécher trois par trois, appuyées en faisceaux les unes aux autres. On appelle ces formations des viottes ou des demoiselles. Quand tout le champ est moissonné, on ramasse les gerbes avec une charrette tirée par un cheval et on les assemble en meules ou meulons : on meulonne.
Un toit de paille protège la récolte jusqu’à l’hiver, où l’on aura le temps, enfin, de s’occuper du battage.
Toutes ces étapes laborieuses ont disparu avec la mécanisation. Celle-ci a apporté son lot de mots nouveaux, et en a avalé quelques autres, qui sont allés rouler dans la poussière comme de vieux chapeaux melons.
Lis martagon
Si vous avez la chance de passer vos vacances dans la fraîcheur de la montagne en ce moment, vous découvrirez peut-être ce magnifique lis qui pousse à l’état sauvage dans l’Est de la France. C’est le lis martagon. Portez-lui un amour platonique : il est protégé.
Le lis martagon est d’une telle élégance qu’on a du mal à en croire ses yeux quand on le rencontre dans la nature. Il n’a pas l’air adapté à la rudesse du climat, avec ses délicats pétales qui se recourbent à maturité. On le croirait échappé de chez le fleuriste, en vadrouille dans les alpages.
En Haute-Normandie, il est absent sauf dans les jardins, en particulier celui de Claude Monet à Giverny. Son bulbe se plante à l’automne en même temps que les tulipes. Mais, comme il a l’habitude du climat de montagne, il n’est pas pressé de fleurir. On en trouve en plusieurs coloris, le rose étant le plus fréquent.
La chasse des cormorans
Des dizaines de cormorans qui s’organisent pour chasser ensemble, c’est un spectacle qu’on peut observer sur la Seine, dans ses bras un peu tranquilles.
Naguère en voie de disparition, le cormoran a bien remonté la pente. Il pullule aujourd’hui, ce qui lui fait pas mal de congénères pour organiser une grande battue sur l’eau.
Le cormoran est un oiseau assez particulier. Ses plumes ne sont pas imperméables comme celles des autres oiseaux d’eau, si bien qu’elles ne retiennent pas de bulles d’air et qu’il pique facilement vers le fond. Il se nourrit de poissons qu’il attrape en plongeant. Sa célérité subaquatique ne lui suffit pourtant pas toujours : le cormoran rate souvent son coup.
Quand il nage à la surface, son corps s’enfonce dans l’eau, et seule la tête dépasse à la manière d’un périscope. Sa lourdeur se manifeste aussi au décollage. L’envol parait laborieux, il ne survient qu’après avoir longtemps couru à la surface de l’eau.
Le cormoran a su faire de ses particularités des atouts. Regroupés en bandes, les oiseaux s’élancent à la surface, qu’ils battent de dizaines de claquements de pattes. Les poissons affolés filent exactement vers l’endroit où les cormorans les poussent et les rassemblent, et où ils vont se faire gober tout crus.
Ce manège n’échappe pas aux mouettes qui circulent dans les parages, toujours prêtes à faire un sort aux poissons blessés. Ni aux hérons.
Les échassiers suivent la pêche des cormorans en restant là où ils ont patte, au bord de la berge vers laquelle les cormorans poussent les poissons. Si les proies arrivent en eau peu profonde, les cormorans n’ont plus assez de place pour plonger, mais c’est parfait pour les hérons qui n’ont plus qu’à se servir.
Toutes ces explications m’ont été fournies ce matin par un fin connaisseur de la Seine. Passionné, passionnant, le capitaine Dominique Polny propose des excursions dans son petit bateau aux alentours des Andelys. Ca n’a rien à voir avec les balades fluviales un peu monotones que vous avez peut-être déjà faites. La verve et les connaissances de Dominique Polny en font un moment extraordinaire. On ne voit pas le temps passer.
L’effet brouette
Ce n’est pas vraiment une photo de brouette. Plutôt une allusion, une suggestion, une évocation de brouette.
Une des spécificités du jardin de Monet est de mêler étroitement les deux passions de l’artiste, la peinture et le jardinage. Elles s’entrelacent en permanence. Il y a beaucoup du peintre dans le Monet jardinier, et réciproquement.
Dans mes visites aussi, peinture et jardinage sont tricotées ensemble. Quand on parle des fleurs, des arbres, lumière et couleurs ne sont jamais très loin. Les visiteurs n’en sont pas surpris, ils acceptent bien l’idée qu’ils circulent dans un tableau fait avec des plantes.
Toutefois, quand on parle peinture, le lien avec le jardinage est plus inattendu. Chaque fois que je raconte comment Claude Monet se rendait sur le motif avec une brouette pleine de toiles commencées, je vois les regards se tourner vers moi, cherchant la confirmation de ce que les oreilles viennent d’entendre.
Ces mouvements de tête sont si fréquents, si prédictibles que je me suis creusé la mienne pour en cerner la raison. A quoi tient cet effet brouette ?
Les explications que j’ai imaginées sont les suivantes, peut-être pourrez-vous m’en suggérer d’autres :
– Il y a quelque chose de prosaïque dans l’idée de brouette. Une simplicité concrète. En plein développement sur le principe assez intellectuel de la série, l’irruption d’un mot issu du lexique du jardinage sonne comme un oxymore qui réveille l’attention.
– Cette brouette poussée par Monet, c’est l’image du système D. Il a besoin de trimballer ses tableaux par les chemins, hop ! dans la brouette du jardinier ! La débrouillardise rend Monet sympathique.
– La brouette impose l’idée de mouvement. Le mot suffit à susciter l’image du peintre marchant d’un pas vif dans le petit matin.
– N’y aurait-il pas un très léger effet comique dans cette idée des tableaux dans la brouette ? Un aspect incongru ?
Si cette interrogation sur les clés de l’effet captivant du mot brouette me préoccupe, c’est parce qu’il s’est manifesté de façon fortuite. Ses ressorts dévoilés pourraient être une source d’inspiration pour rendre captivants intentionnellement d’autres parties du discours.
Toutes proportions gardées, c’est un peu comme en sciences, quand on cherche à systématiser un résultat obtenu par hasard. Comment passer des premières expériences de fusion froide à l’énergie gratuite pour tout le monde, par exemple. Il y a du chemin à faire, mais cela vaut la peine de se creuser la tête.
Rien de nouveau sous la lune
Au pied d’un massif violet où dominent les dahlias, les glaïeuls et les lis, un coussin de capucines orange vient apporter la couleur complémentaire. Bientôt, les fleurs tapisseront toute la surface de l’allée. L’effet est attendu des habitués de Giverny. Mais cette année quelque chose a changé.
Au lieu de la masse verte des feuilles de capucines d’où émergent tout au bout les fleurs éclatantes, comme le montrent les photos des dernières années, voilà que les corolles des capucines ont pris le dessus cet été. On ne voit qu’elles, chatoyantes de différents tons d’orange.
De plus, on sent que la plante n’en a plus pour très longtemps avant d’avoir envahi toute l’allée. La rencontre des deux rangées se fera plusieurs semaines plus tôt que l’an dernier.
Quelle est l’explication de ce mystère ? Le chef-jardinier m’a donné une partie de la clé de l’énigme : les capucines ont été plantées plus tôt cette année. Au lieu d’être semées en place, elles ont été démarrées en serre et repiquées, pour gagner quelques jours d’avance de végétation.
Mais ceci ne suffit pas à expliquer l’abondance des fleurs. Et ce n’est pas la météo fraîche et pluvieuse qui en est responsable non plus.
Alors ? Quand on a épuisé toutes les hypothèses, toutes choses égales par ailleurs, il reste à envisager l’influence du calendrier lunaire.
Au terme de siècles d’observation empirique, les jardiniers ont remarqué que certains jours sont plus favorables que d’autres pour favoriser la croissance des fleurs, ou au contraire des feuilles, des racines ou des fruits.
A la Fondation Monet, on ne jardine pas avec la lune, mais il n’est pas impossible que les capucines de la grande allée aient été semées et repiquées par hasard les jours ad hoc. Ce sera difficile à vérifier, car les dates des semis ne sont pas enregistrées au jour près. Mais cela vaudrait la peine de respecter le calendrier lunaire l’an prochain. Juste pour voir si on obtient le même résultat splendide.
La messe des conducteurs
Une tradition se maintient bien vivante à Saint-Christophe sur Condé, dans l’ouest de l’Eure. Dimanche prochain, le 29 juillet, le village si paisible devrait connaître une animation inhabituelle à l’occasion de la traditionnelle messe des conducteurs.
Dans la charmante petite église en damier de silex et calcaire, où les bancs de bois s’alignent dans la nef, les bannières et les porte-cierge sont prêts à reprendre du service. Dans l’entre-deux guerres, des cartes postales anciennes en témoignent, c’était tout un défilé d’automobiles qui venaient se faire bénir solennellement par le clergé à Saint-Christophe sur Condé.
C’est que saint Christophe, patron du village, est aussi celui des gens qui voyagent, qui circulent, qui conduisent les autres. Comme son nom le rappelle, il a porté le christ sur son épaule. Il a résisté à tant de martyres qu’il est devenu un grand protecteur.
Au temps de la foi, on l’invoquait en cas de difficulté, mais aussi de façon préventive, pour qu’il protège le croyant tout au long de la journée.
Son effigie est facile à reconnaître : saint Christophe est figuré en géant qui porte un enfant sur l’épaule. Son grand bâton lui permet de prendre un appui lorsqu’il traverse à gué les rivières.
Bâti près de l’eau
Le sens de certaines expressions ne coule pas de source, surtout quand on les découvre dans une langue étrangère. En allemand, avoir bâti près de l’eau, c’est avoir la larme facile, pleurer pour un oui ou pour un non. (nah am Wasser gebaut haben)
Parfois, le sens est plus transparent, comme l’image de l’eau qui coule pour marquer la fuite du temps. Mais les métaphores lexicalisées ne se transposent pas toujours telles quelles d’une langue à l’autre. Le jour où je me suis risquée à traduire mot pour mot « de l’eau a coulé sous les ponts », mon interlocuteur germanique m’a dit que j’étais très poétique. Alors qu’en anglais, l’expression existe : « a lot of water has passed under the bridge ».
J’ai un faible pour les gens qui ont bâti près de l’eau, qui se laissent aller à l’émotion. Pourquoi voyage-t-on, si ce n’est pour vivre des émotions ?
Ma cliente arrivait non pas d’Allemagne mais des Etats-Unis, en compagnie de deux jolies adolescentes. Elle a pleuré en mettant le pied sur le pont japonais, quand elle a découvert le paysage d’eau créé par Claude Monet.
« Je n’arrive pas à croire que je suis là ! Ca fait trente ans que j’en rêve ! »
C’était à coup sûr le symptôme d’une Linnea-ite aiguë. Diagnostic vite confirmé : en effet, la dame et ses filles avaient lu et relu le fameux petit livre qui a su faire rêver tant d’enfants et leurs parents d’un voyage à Giverny.
Pour cette quadragénaire, de l’eau avait coulé sous les ponts depuis son enfance, mais le rêve était resté là, intact. Au point que l’eau du bassin aux nymphéas lui a fait monter les larmes.
Vernon, le vieux moulin sur la Seine
La Maison du Tourisme
Si vous n’avez pas mis les pieds à Giverny depuis deux ans, vous ne reconnaîtrez pas cet endroit. C’était naguère une propriété rurale assez délabrée, située entre la fondation Claude Monet et le musée des Impressionnismes.
Cet emplacement stratégique et sa disponibilité ont valu une seconde jeunesse à l’ancienne maison Boutisseau. La vieille bâtisse qui abritait un pressoir et ses annexes ont pris du galon. On y trouve maintenant une terrasse, une boutique cadeaux, des plantes, de la brocante et même, tout au fond, une maison du tourisme.
Oui, la vitrine régionale qui doit donner envie aux visiteurs de Giverny de prolonger leur séjour en Normandie ou en Ile de France, c’est cette grange derrière les parasols.
Cet improbable emplacement de la maison du tourisme de Giverny en fond de cour a été l’objet d’une vive polémique, au moins autant que le curieux montage financier qui sous-tend le projet. Le bon sens voudrait que les visiteurs ne puissent pas manquer le local où on va les renseigner. A Giverny, ils devront commencer par se renseigner pour trouver le local.
Combien en pousseront la porte ? 1 sur 50 ? 1 sur 100 ? C’est clair, il fallait une maison du tourisme, mais étant donné le coût de celle-ci pour le contribuable, ce même contribuable est en droit de se demander si elle n’aurait pas été plus efficace ailleurs.
Quant aux professionnels du tourisme, ils s’étonnent des priorités des pouvoirs publics. Une maison du tourisme, c’est bien, mais… Un demi-million de visiteurs chaque année à Giverny, et toujours pas de toilettes publiques.
C’est sans doute parce qu’à la campagne, on a des buissons.
Géraniums
Cette plaque émaillée vue aux Andelys ornait déjà la porte de cette maison il y a cent ans. Elle témoigne de la prédilection des propriétaires d’alors pour cette fleur indémodable, le géranium. Alors que d’autres belles plantes sont tombées en disgrâce, le géranium, en pleine floraison actuellement, mérite toujours bien son nom de « roi des balcons ».
Bleu lin
A moins que vous ne soyez en train de surfer depuis votre portable, cette fleur doit vous apparaître nettement plus grosse qu’au naturel, où elle fait la taille d’un ongle, perchée toute seule au bout de sa tige.
En plus d’être d’une petitesse insignifiante, elle se paie le luxe d’une floraison ultra éphémère, quelques heures à peine. Alors, pourquoi la cultiver, en particulier à Giverny ?
Peut-être pour son joli bleu délavé comme le ciel normand, finement strié de sombre.
Ou peut-être parce que c’est une fleur de lin, l’une des cultures emblématiques de la Haute-Normandie.
C’est à la mi-juin qu’il faut aller se balader dans la campagne de l’Eure et de la Seine-Maritime pour admirer les nappes bleues des champs de lin, tout en délicatesse.
Là où le colza fait claquer son jaune jusqu’à la stridence pendant plusieurs semaines, le lin joue l’élégance dès sa floraison.
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