La Seine au fil des peintres

La Seine au fil des peintres de Boudin à Vallotton, Musée de Vernon, François Lespinasse, éditions points de vues 2010
Déjeuner au bord de la Seine, Gaston Balande, 1914 huile sur toile 140 x 160 cm, Association des Amis du Petit Palais, Genève

Tout comme le musée des impressionnismes de Giverny, le musée de Vernon célèbre jusqu’au 25 juillet la Seine, telle qu’elle a été représentée par les peintres impressionnistes et leurs successeurs.
La belle expo qui investit la plupart des salles du musée nous entraîne tout au long du fleuve, de Mantes-la-Jolie jusqu’au Havre.
Chaque salle est dédiée à une portion du parcours, ce qui permet de faire dialoguer les peintres qui se sont attachés à rendre les mêmes paysages.
Les deux Monet des collections permanentes du musée de Vernon n’ont pas été intégrés à l’exposition à proprement parler, puisqu’ils ne représentent pas le fleuve, mais une vue de Nymphéas et une autre de la côte normande. Rien n’empêche d’aller les admirer en même temps, bien entendu ! En revanche les deux Bonnard y figurent, aux côtés d’oeuvres de Signac, de Vallotton et de Boudin.
Mais, si l’expo de Vernon présente quelques noms célèbres, elle vaut surtout pour les peintres qui le sont moins. Beaucoup d’artistes très talentueux sont restés méconnus tant les plus grands de leur époque leur ont fait de l’ombre. Il devait être bien difficile d’être un peintre contemporain de Monet, de Renoir ou de Cézanne !
L’expo propose donc de belles découvertes hors des sentiers battus, pourrait-on dire. L’oeuvre de Balande choisie pour illustrer l’exposition, par exemple, est merveilleuse de fraîcheur. C’est un hymne aux belles journées d’été au bord de l’eau, presque une publicité pour tous les plaisirs qu’elles offrent. Cette image d’insouciante félicité date de 1914, et rien n’y laisse présager l’horreur imminente…
Le catalogue de l’exposition, rédigé par François Lespinasse, spécialiste de l’école de Rouen, propose de précieuses notices biographiques sur des peintres encore peu documentés, ce qui en fait un ouvrage de référence.

Pivoine

Pivoine en boutonTous les amoureux des pivoines l’ont noté, ces fleurs magnifiques attirent les fourmis, au point qu’une visiteuse de Giverny m’a raconté qu’enfant, ignorant leur nom, elle les appelait des fleurs à fourmi.
A partir de cette observation, chacun y va de son hypothèse pour expliquer l’appétence singulière des petites bêtes pour les grosses fleurs.
Elle les mangent ! s’indignent les uns. Elles y élèvent des pucerons ! paniquent les autres.
Point du tout.
Les yeux les plus affûtés auront remarqué les gouttes qui perlent sur les bourgeons tout gonflés des pivoines. Ce n’est ni un reste d’arrosage ni un reliquat de rosée, mais une sorte de sève que sécrète la pivoine avant de s’ouvrir.
Je n’ai pas encore osé goûter, mais il paraît que ces gouttes ont la saveur du sirop. Vous imaginez, par rapport à la taille d’une fourmi ? Une montagne de délices ! De quoi les faire accourir de loin !
Elles arrivent donc, en rangs serrés, comme les enfants à la fête foraine au stand des guimauves et des nougats. Et de se repaître de sucre, mmmm !
Seulement, il leur faut se dépêcher. Avec la chaleur de juin, les boutons de pivoines s’ouvrent vite, et alors, plus de nectar.
Au milieu des fleurs volumineuses, mousseuses, et sèches, on voit les fourmis errer de pétale en pétale, comme si elles cherchaient le pays de cocagne qui était encore là hier, et qui aujourd’hui a disparu.
Elles ont l’air désemparées, désorientées, dépitées.
Mais peut-être que c’est mon tour de conclure de travers.

Un cadeau chat-rmant

Chat de MonetSi Gérald van der Kemp dit vrai, ce chat de céramique a dû entrer dans la vie de Monet dans les toutes dernières années de son existence. L’homme qui a fait revivre la propriété de Monet affirme, dans le premier opus de la brochure « Une visite à Giverny », que le bibelot a été offert au maître de l’impressionnisme par Pierre Sicard.
D’où tient-il cette information, d’un document ? d’un témoignage verbal ? Mystère. Mais l’affaire semble plausible, et il ne l’a certainement pas inventée.
Pierre Sicard, né en 1900 et mort en 1980, est un peintre post-impressionniste qui a aimé, au début de sa carrière, prendre pour motif le Paris des Années folles, des cabarets de Pigalle aux représentations plus gourmées de l’Opéra. Ami de Jean Renoir, le cinéaste fils du peintre Pierre-Auguste Renoir, lui-même ami intime de Monet, il n’est pas impossible qu’il se soit vu invité un jour à Giverny.
J’imagine la scène. « Tu viendras avec nous dimanche chez Claude Monet ! », lui a annoncé Jean Renoir, et voilà le jeune Pierre Sicard, peut-être impressionné, intimidé, fébrile, face à un problème épineux : quel cadeau apporter au patriarche de Giverny ?
Dans le genre casse-tête, celui de la fête des mères, c’est de la rigolade à côté. Bien sûr, on peut toujours se rabattre sur les présents les plus conventionnels, les fleurs et les gourmandises. Pierre Sicard écarte cette solution de facilité. Il ne veut pas donner l’image d’un homme sans imagination.
Connaissant le penchant de Monet pour le japonisme, ses pas le mènent vers un marchand spécialisé dans les objets orientaux. Pas facile de choisir une estampe, le maître en a déjà tant, et il a le goût si sûr… C’est alors que Sicard avise un chat de faïence qui paraît dormir sur une étagère. Il sourit. Le voilà, son cadeau ! Il lui donnera l’occasion d’une pointe d’humour : ce chat-là ne fera pas de mal aux massifs de fleurs si chers à Claude Monet !
Qu’a pensé Monet en déballant le paquet ? A-t-il rapproché l’animal endormi des chats figurés sur certaines estampes japonaises de sa collection, discret chat regardant par la fenêtre, énorme chat d’un décor de théâtre ?
Peut-être que les oreilles roses du minou ont capté des cris de surprise et d’admiration. Nul doute que Blanche Hoschedé Monet l’a trouvé adorable avec son petit noeud.
Bref, le chat a été adopté. Il a trouvé sa place dans la maison, peut-être d’abord dans l’atelier, aujourd’hui dans la salle à manger de Monet, où il continue de dormir du sommeil du juste pelotonné sour son coussin rose, pile à la hauteur des yeux des enfants.

Inaccessible

Nénuphars blancs à Giverny
Depuis que les nénuphars ont recommencé à fleurir, le bassin de Monet a retrouvé son aspect coutumier.
Chaque jour de nouvelles fleurs apparaissent, à la faveur d’une eau qui dépasse désormais les 16° fatidiques.
Les moins frileux sont les blancs, premiers à montrer leurs corolles, puis viennent les roses et les jaunes, les pêche, les crème, tout un camaïeu de couleurs douces piquetées au milieu de l’eau.
A quoi tient la magie des Nymphéas ? Pourquoi fascinent-ils autant ?
Une visiteuse de Giverny m’a révélé leur secret. Avec le léger sourire de quelqu’un qui s’excuse presque de proférer une évidence, elle m’a dit :
– Le charme des nénuphars, c’est d’être une fleur inacessible. Personne ne peut la cueillir.

Petite allée à Giverny

Petite allée dans les jardins de MonetSi Claude Monet a dessiné de fines allées au milieu de ses parterres fleuris, c’est pour qu’elles se fassent toutes discrètes.
Quand on se trouve au bas du jardin, les lignes droites dirigent le regard vers le lointain, en une perspective impeccable.
Mais dès qu’on regarde le Clos normand de profil, elles disparaissent.
Ne reste que cette impression d’une mer de fleurs, d’une prairie où pousseraient les espèces les plus délicates.
Les iris font en ce moment l’essentiel du spectacle, soutenus par les pivoines, les giroflées, les premières roses.
Monet devait aimer s’avancer parmi les fleurs jusqu’à mi-corps, comme au temps d’Argenteuil, quand il peignait sa femme et son fils noyés dans une prairie de coquelicots.

Moi j’aime pas les fleurs

Iris à GivernyCela peut se passer au milieu du déluge d’iris et de giroflées du clos normand, ou même devant les parterres plus sages du jardin d’eau. Parmi les nombreuses classes de jeunes enfants qui visitent en fin d’année les jardins de Claude Monet à Giverny, il se trouve toujours un garçon pour annoncer, un brin provocateur : « Moi, j’aime pas les fleurs. »
Les adultes présents, qui se sont donné beaucoup de mal pour l’organisation et la réussite de la sortie, font souvent mine de ne pas avoir entendu. Ils préfèrent, j’imagine, se laisser subjuguer par la beauté des jardins, plutôt que de répondre à la réflexion d’un gamin boudeur.
En revanche, les petites oreilles masculines dans lesquelles la remarque tombe se dressent avec vivacité. Les garçons sont heureux d’entendre leur copain dire tout haut avec aplomb ce qu’eux-mêmes pensent tout bas, mais dont ils percevaient l’aspect politiquement incorrect. Eux non plus n’aiment pas les fleurs, ou du moins c’est ce qu’ils pensent.
S’il y a une certaine audace à risquer le courroux des adultes par l’affirmation de son aversion florale, aucun garçon n’oserait reconnaître qu’il trouve les fleurs jolies. Le motif de ce silence est évident : les fleurs, ça fait fille.
Inutile de chercher à raisonner les petits mâles en argumentant que Claude Monet, concepteur de ces jardins, était un homme, que toute l’équipe des jardiniers ne compte pas une seule jardinière, et que la plupart des pépiniéristes, malgré l’aspect maternel qu’il peut y avoir à multiplier les plantes et à prendre soin des petites pousses, est à ranger du côté viril de l’humanité. Rien n’y fera. Les enfants sont imperméables à tout ce qui peut bien avoir cours parmi les adultes. Dans leur monde, ils savent bien, eux, que les fleurs sont des attributs de la féminité, comme la couleur rose, les perles, les cheveux longs et les robes. Il n’y a pas plus conformiste qu’un enfant de huit ou dix ans.
Hélas, ce conformisme masculin perdure parfois à l’âge adulte. Combien de messieurs, tirés à Giverny par leur femme, ou venus dans l’intention louable de lui offrir un plaisir, subissent-ils la visite ? Ils s’ennuient. Ils tripotent leur portable. Ils bâillent. Ils disent à madame, n’as-tu pas fini de prendre toutes les fleurs en photo ? Au mieux, ce sont eux qui tiennent l’appareil, retrouvant une contenance derrière ce semblant d’activité technique.
Que leur a-t-il manqué pour savoir apprécier la beauté des fleurs fraîchement écloses ? Sans doute juste l’autorisation de les aimer, un père esthète et peut-être jardinier qui leur aurait dit, regarde comme c’est beau, une rose…

Cane et canetons

Cane et canetons à GivernySpectacle craquant ce matin à Giverny : une cane colvert a fait son apparition sur l’étang de Claude Monet, accompagnée de dix petits canetons qui la suivent comme son ombre.
Je ne sais pas où elle a niché, elle a été très discrète, mais certainement dans le jardin d’eau, puisqu’il est environné de grilles, et que les petits ne savent pas encore voler… à moins que toute la famille ne soit arrivée par la rivière !
La cane a été un peu décontenancée par l’excitation que la présence de son adorable progéniture a provoquée autour du bassin. Elle a dû réussir à se cacher, car je n’ai plus revu la famille canard de la journée.
Je lui souhaite de trouver un endroit plus tranquille, et surtout loin de l’appétit vorace du brochet qui hante le bassin de Monet.

L’apogée des clématites

Clématite montanaLa floraison des clématites offre la sensation d’être environné de fleurs, dans le jardin de Monet à Giverny.
On en a partout autour de soi, dans les parterres débordant de toutes les jolies printanières, des iris aux giroflées, des ancolies aux alliums, tandis qu’on déambule sous les supports métalliques croulant sous les masses de petites fleurs roses ou blanches.
La clématite montana n’a rien d’une fleur rare, on en voit dans tous les jardins, mais elle porte mieux que jamais son nom quand elle part à l’assaut des supports les plus élevés qu’on veut bien lui offrir.
Elle vaut par l’effet de masse, toujours très spectaculaire chez cette généreuse.

Poirier à feuilles de saule

Poirier à feuilles de saule, pyrus salicifoliaDans le jardin blanc du musée des impressionnismes de Giverny, deux arbres au feuillage gris argent encadrent le bassin. Leurs feuilles allongées font penser à des saules, en plus duveteux. Mais un examen attentif révèle de petits fruits. Bizarre !
Le jardinier du musée m’a donné la clé de l’énigme. Il s’agit de poiriers à feuilles de saule, autrement dit des Pyrus salicifolia. Une variété décorative d’arbre dont les fruits ne se mangent pas, mais qui offre une floraison blanche en avril et ce beau feuillage rappelant l’olivier.
L’avantage du poirier à feuilles de saule sur l’olivier est d’être beaucoup plus rustique, jusqu’à -20°, de fleurir et d’aimer le calcaire, étant entendu qu’il ne faut pas espérer récolter des olives en Normandie, ce qui met les deux arbres à égalité sur ce plan-là.
Le jardinier, qui connaît les épithètes botaniques sur le bout des doigts, m’a précisé que le nom du pyrus salicifolia se complète de ‘pendula’, c’est-à-dire pleureur. Je n’ai pas trop vu dans le houppier ébouriffé de ceux du musée l’ébauche même d’une quelconque tristesse, mais peut-être sont-ils trop petits encore, pleins d’un joyeux entrain juvénile, et la mélancolie ne les assaillera-t-elle qu’à l’âge adulte.
Si son nom n’a désormais plus de secret, en revanche, la généalogie du poirier à feuilles de saule reste mystérieuse. Existe-t-il à l’état sauvage, ou est-il le fruit d’un croisement provoqué par l’homme ?
Et, plus énigmatique encore, qu’obtiendrait-on si on mariait le poirier à feuilles de saule au saule à feuilles de poirier, Salix pyrifolia, cet arbre qui lui est une sorte d’antonyme et qui pousse au Québec ?

Nuit des musées

Tombée du soir à GivernyL’ouverture tardive des musées de Giverny, jusqu’à 21h, permettait hier soir de découvrir une lumière différente sur les jardins de Monet. Le soleil a daigné faire son apparition, et tandis qu’il coulait doucement vers l’horizon, ses rayons dorés enflammaient les massifs de fleurs orange et jaunes dans le clos normand.
J’espérais voir le coucher du soleil, mais c’était une demi-heure trop tôt. L’avant-goût offert hier donne envie de revenir. Ce doit être si beau de voir les rayons obliques toucher de leurs derniers feux les nénuphars en fleurs.
Au fait, c’est pour bientôt. Le premier bouton de nymphéas est déjà formé et ne demande plus qu’à s’ouvrir, à peine plus tard que les deux dernières années. A Giverny aussi, nous avons notre marronnier de la Treille.

Des vaches sous les pommiers

Vache sous un pommier en fleursIl suffit qu’une voiture s’arrête au bord de la route pour que toute vache qui se respecte se sente prise de curiosité. Elle se demande, sans doute, ce qui peut bien provoquer la vôtre, et vous fixe intensément en quête d’une réponse, le regard encadré par ses boucles d’oreilles numérotées.
A quelques kilomètres de Giverny, les plateaux du Vexin sont plutôt des terres à blé, où s’étendent de vastes champs de colza, de lin, d’escourgeon et autres cultures intensives. Mais il arrive qu’on y croise, près des villages, de petits coins de vergers, souvenirs d’un temps où chaque fermier produisait son cidre pour l’année.
La logique veut que les pommiers s’élèvent dans des prairies, et que des vaches s’occupent, à grands coups de langue, de limiter la croissance de l’herbe.
En cette saison, les pommiers sont encore en fleurs, les pissenlits et les boutons d’or aussi, et le tableau que composent les arbres, l’herbe grasse et les bovins a quelque chose qui réjouit l’oeil.
C’est l’image de l’opulence qui se traduira dans la cuisine normande par force crème, beurre, pomme et calvados, comme une promesse d’agapes à venir, d’assiettes savoureuses à dévorer à grand coups de dents.

La glycine en fleurs

Le jardin de Monet à Giverny en maiC’est en ce moment, à la mi-mai, que la glycine est la plus belle, dans le jardin d’eau de Monet à Giverny. Elle festonne le dessus du pont, et sa couleur tendre doublée par le miroir de l’eau se marie au vert environnant.
A vrai dire, elles sont deux à recouvrir la passerelle japonaise. La première à fleurir est toujours la mauve. C’est aussi la plus odorante, son parfum rappelle celui du jasmin.
Quinze jours plus tard, quand la glycine mauve finit par se faner, la glycine blanche prend le relais et déploie ses grappes tout en longueur. Le passage de témoin, assez bref, aura lieu dans dix jours environ.
Mais c’est sans doute ce week-end que les glycines seront les plus spectaculaires à Giverny. Car le musée des impressionnismes est sur le point de voir fleurir la sienne. Plantée du temps où le musée était consacré à l’art américain, cette glycine blanche conduite en pergola magnifie l’entrée de sa floraison extraordinaire.

Tulipes et giroflées

Tulipes et giroflées, GivernySur la gauche de la maison de Monet, au pied de son premier atelier, les jardiniers de Giverny ont concocté un massif d’une grande subtilité. Des tulipes d’un rose ou d’un jaune doux veiné de vert et de pourpre surgissent au milieu d’un parterre de giroflées, dont les tons varient du jaune à l’orange presque noir.
Bien peu de visiteurs découvrent cette délicate association, car le massif est un peu caché au coin de la maison. Il faut se donner la peine de sortir des allées principales, d’explorer tous les coins et recoins du jardin.
Comme le deuxième atelier de Monet n’est pas accessible au public, le chemin qui y mène est devenu une sorte d’impasse. Quelques surprises y attendent les visiteurs curieux, par exemple de magnifiques rhododendrons qui vont bientôt fleurir, des lilas parfumés, puis, dans quelques semaines, une petite roseraie à l’ancienne.
Le long du mur, des treillages de bois peints d’un bleu un peu vert rappellent ce coloris si répandu autrefois à la campagne, où l’on faisait un usage généreux du sulfate de cuivre.
Comme dans les musées, il y a plus à voir à Giverny que ce que l’on peut découvrir en une visite. Mais contrairement aux musées, ici l’oeuvre change de semaine en semaine, au fil des saisons. On peut, à l’infini, revenir…

Le jardin de Monet depuis son 2e atelier

Le jardin de Monet vu depuis son 2e atelier De l’étage du deuxième atelier de Monet, on a une vue superbe sur le clos normand, un peu différente de celle qui s’offre depuis la chambre du peintre.
Plutôt qu’une vue frontale, plein sud, donc souvent à contre-jour, le regard embrasse ici le jardin en oblique.
La rigueur du tracé rectiligne est moins apparente. La plupart des allées, toutes fines, disparaissent, noyées dans la végétation colorée.
Les massifs du premier plan dessinent des arrondis ourlés d’un feston de fleurettes blanches.
Au loin on aperçoit les arceaux de la grande allée. Ils marquent le milieu du jardin, dont l’autre moitié se fond dans le lointain.
Le jardin d’eau, quant à lui, se devine à peine à l’arrière-plan.

Deuxième atelier

Atelier de Monet à GivernyA l’angle de la propriété de Monet se dresse un bâtiment rose à l’architecture un peu tarabiscotée, avec terrasse et galerie vitrée. Quand on en fait le tour, une immense verrière qui couvre toute la façade côté rue et déborde sur le toit révèle sa fonction : c’est le deuxième atelier de Monet.
Le peintre s’est vite trouvé à l’étroit dans l’atelier de la maison principale. Dès qu’il en a eu les moyens, il a décidé de se doter d’un atelier plus fonctionnel, spacieux, avec verrière au nord et non à l’ouest. Et il en a profité pour ajouter, dans ce nouveau bâtiment, toutes les pièces qui lui faisaient défaut dans la maison principale : une chambre noire, cinq chambres à coucher pour les jardiniers, un appartement pour la famille, un garage…
Le deuxième atelier héberge aujourd’hui la conservation, l’accès n’est donc pas ouvert au public. Sur le côté, on remarque une grande volière qui a servi aux oiseaux recueillis par les jeunes de la famille Monet.

Cornouiller

Cornouiller rose Les cornouillers sont en fleurs à Giverny. Le jardin de Monet en possède deux, l’un assez petit d’un très joli rose, l’autre, plus développé, d’un blanc de neige.
Le cornouiller n’est pas très commun chez nous, il pousse davantage en Europe de l’Est et au Proche-Orient. Si bien qu’à Giverny, les promeneurs venus de l’Hexagone s’interrogent souvent sur cet arbre à la floraison aussi délicate que spectaculaire, qui leur évoque les magnolias.
En revanche, bien des visiteurs américains des jardins de Monet l’identifient au premier coup d’oeil. Car dans de nombreux États, le cornouiller est un arbre répandu, tout à fait entré dans l’imaginaire collectif.
L’arbre fleurit à Pâques, et ses rameaux couverts d’inflorescences sont traditionnellement associés aux fêtes pascales.
Selon la légende, la croix du Christ aurait été taillée dans du bois de cornouiller. Les cornouillers d’il y a deux mille ans auraient été beaucoup plus imposants qu’aujourd’hui. Mais le Christ aurait fait à l’arbre la promesse de le rendre chétif et tordu de manière à empêcher à tout jamais son usage comme croix.
Et pour couronner le tout et bien enfoncer le clou, la légende raconte que la fleur elle-même rappelle les instruments de la Passion : les quatre pétales évoquent les branches de la croix, tandis que le coeur de la fleur est supposé rappeler la couronne d’épines et les clous.
J’ai bien regardé, mais je ne suis pas trop convaincue. Rien ne vaut une belle passiflore !
Tout auréolé de son halo légendaire, le cornouiller a été hissé au rang d’arbre national en Virginie et au Missouri. Ce qui me rend perplexe : que signifie un arbre national ? Qui décerne cette distinction, et à quoi sert-elle ? Question subsidiaire, quel peut bien être l’arbre national de la France, s’il y en a un ? Forcément le chêne, non ?
Une autre singularité du cornouiller, un arbre décidément bien curieux, c’est son nom. En français, pas de problème : cornouiller semble bien venir de corne, référence à son bois dur comme de la corne.
En anglais, en revanche, l’arbre porte le nom bizarre de dogwood, bois de chien. Les explications fantaisistes ne manquent pas. Celle qui me convainc le plus avance que le nom dérive de dagwood, l’arbre dont on fait les dagues, les poignards, grâce à son bois très dur. Le mot dague étant plus rare que le mot chien, la prononciation a glissé vers dogwood, et le sens s’est perdu.

L’autre jardin de Giverny

Musée des ImpressionnismesA quelques pas des jardins de Claude Monet, le musée des Impressionnismes Giverny est blotti derrière un jardin qui, s’il est moins grand que ses illustres voisins, n’en est pas moins beau.
En ce moment d’éblouissantes floraisons de printemps jouent de toute la gamme des tulipes les plus extraordinaires, alignées en rayures lumineuses, ou regroupées en massifs monochromes séparés par des haies.
Le jardin blanc, le rose, le jaune, sont comme toujours somptueux. Si la pluie ne s’invite pas à la fête, ils devraient durer encore un peu, certaines tulipes sont même encore en boutons.
Toutes ces fleurs sont une mise en bouche avant d’aller se repaître des couleurs des tableaux impressionnistes exposés dans les galeries.

Claude Monet à Giverny

Livre Claude Monet à GivernyLa Fondation Claude Monet vient de publier une toute nouvelle mouture de son best-seller incontesté, la brochure qui présente la maison et les jardins de Monet à Giverny. Elle s’intitule « Claude Monet à Giverny, la visite et la mémoire des lieux ».
L’ouvrage en est à sa troisième édition. La toute première, « Une visite à Giverny », était signée Gérald van der Kemp, le directeur à qui l’on doit la restauration de la propriété de Monet, ce qui en faisait un témoignage précieux. Son épouse avait réalisé l’édition suivante.
Comme le temps passe, le moment était venu de rafraîchir la publication. Cette fois-ci, c’est Claire Joyes, Givernoise, liée à la famille Monet, et spécialiste du peintre, qui a rédigé les textes, d’une plume dynamique et vivante.
L’iconographie a aussi été repensée, avec beaucoup d’images d’archives, de tableaux, et bien sûr des photos du jardin et de la maison.
En complément des vues du photographe Jean-Marie del Moral, j’ai la joie d’avoir apporté ma contribution à cette nouvelle édition en fournissant 42 photos !
Voir son travail imprimé est un moment émouvant pour tout auteur, mais surtout, je suis heureuse de participer par le biais d’un livre à la diffusion de l’image de la Fondation Monet. C’est une action qui me tient à coeur depuis quinze ans, au moyen d’internet jusqu’à présent.
J’aime les livres, cela me fait plaisir d’imaginer celui-ci, traduit en quatre langues, présent sur les tables de nuit ou les étagères de Lille à Marseille, de New-York à Tokyo, de Montréal à Berlin. Et de toucher des personnes qui, peut-être ne surfent pas, afin de partager avec elles mon amour pour ce petit coin de nature et de beauté pure.

Claude Monet à Giverny, la visite et la mémoire des lieux, Claire Joyes, éditions Claude Monet Giverny. 80 pages, 9 euros.

Aurore

Lever du jour à GivernyC’était l’heure qu’aimait Monet. Debout avant l’aube, il était à pied d’oeuvre pour voir se lever la brume sur le fleuve ou sur son bassin, dans cette caresse orangée et rose des premiers rayons du soleil.
J’ai eu la chance la semaine dernière de pouvoir venir photographier les jardins de Claude Monet dès sept heures du matin.
Dans la lumière mauve de l’aube, l’étang semblait une cassolette fumante d’où s’échappaient des vapeurs fantomatiques. Les arbres inversés dessinaient des ogives dans les reflets argentés.
Puis le soleil est arrivé, et la brume s’est mise à danser, mue par d’insensibles courants de l’air.
J’avais le souffle coupé. Ce jardin réserve des beautés à l’infini.
On comprend que Monet n’ait plus eu envie de chercher ailleurs.

Avril à Giverny

GivernyDu jaune de chrome, du vermillon, du bleu cobalt, du vert émeraude… Avril dépose ses couleurs dans le jardin de Monet à Giverny comme un peintre sur une palette.
« C’est irréel tellement c’est beau ! » s’exclame une visiteuse émerveillée.
La grande floraison des bulbes de printemps fait rayonner des centaines de variétés de narcisses, de fritillaires, et surtout de tulipes aux formes et aux teintes les plus étonnantes et les plus variées.
Des tapis de pensées étalent leurs petites têtes vibrantes partout.
Des coussins d’aubriètes gonflent de mauve le bord des allées.
Nulle autre saison n’est plus colorée que celle-ci.
Il flotte autour de ce tableau des senteurs suaves, des parfums mêlés de jacinthes, d’oranger du Mexique, de laurier-tin et de spirée.
Dans le petit matin, les tulipes ont la tête encore fermée sur leurs rêves nocturnes. D’ici peu, elles les laisseront s’échapper pour ouvrir leurs pétales à la curiosité des insectes.
Pour l’heure, c’est le grand concert des oiseaux. Et puis voici le coq, soudain, qui claironne son chant de campagne, quand le soleil paraît au coin du grand atelier.

Arrosage

arrosage, jardin de MonetLa Normandie n’est plus ce qu’elle était : voilà qu’il fait sec en avril !
Dans les jardins de Monet, les rampes d’arrosage ont repris du service un peu plus tôt que d’habitude, en renfort des gouttes à gouttes et de l’arrosage manuel.

Un voile de gouttelettes s’élève dans la lumière du matin, puis retombe sur les plantes assoiffées qui courbent l’échine sous la douche, un peu sonnées, vite redressées.

C’est un rideau de perles que l’on n’ose franchir, des perles qui s’éparpillent bientôt avec prodigalité pour venir rouler, hésitantes, le long des tiges et des feuilles, et s’accrocher aux pétales soyeux en colliers de lumière.

Cygne

Cygne au nidQu’est-ce qui peut bien passer dans la tête d’un cygne pour qu’il vienne faire son nid à Giverny sur les bords du Ru, à quelques mètres de la route, sous le regard étonné des touristes ? Les voitures, les autocars et les camions sillonnent la départementale 5 à longueur de journée, les joggers trottinent sur le petit chemin de la berge, mais rien ne paraît pouvoir déranger l’oiseau, imperturbable quand il est en train de couver.
Le ruisseau n’offre qu’une protection symbolique, sans doute illusoire. Mais le cygne a renoncé à se cacher. A moins qu’il neige, pas la peine d’espérer passer inaperçu quand on porte un plumage aussi blanc.
Je crois que le cygne compte sur sa corpulence et ses coups de becs pour tenir en respect les prédateurs. Les véhicules à moteur l’indiffèrent, et les bipèdes sont assimilés à des lanceurs de pain. Aucune raison d’avoir peur !
J’espère que tant d’inconscience n’aura pas de conséquence fâcheuse, et qu’on verra bientôt les petites boules de duvet gris sortir de l’oeuf et se presser autour de leurs parents. En espérant que ceux-ci se montrent vigilants et leur évitent toute rencontre fâcheuse. Au moins, dans le Ru, il ne doit pas y avoir de brochet.

L’heure du printemps

Jardin de Monet, GivernyLa discussion fait rage dans les allées du jardin de Monet à Giverny : le printemps est-il en retard ? Ou bien était-il en avance ces dernières années ? Selon les jardiniers, les pendules sont à l’heure cette année. Enfin.
Certains signes ne trompent pas : les narcisses, d’habitude déjà en train de défleurir dès le début avril, rayonnent encore de tous leurs blancs, offrant une image presque insolite du clos normand. Ils s’étendent par nappes au milieu des pelouses, où de petites tulipes botaniques les accompagnent.
L’image de leurs îlots clairs au milieu du vert des gazons évoque comme une réminiscence une autre vue familière à Giverny, celle des radeaux de nymphéas à la surface du bassin, au coeur de l’été. Deux compositions qui se répondent, se superposent dans la rétine, accompagnées d’impressions opposées, la fraîcheur printanière d’avril pour l’une, la chaleur estivale tempérée par le bord de l’eau pour l’autre.
L’effet des narcisses est si joli qu’il vaut la peine de venir dès maintenant à Giverny.
Une autre discussion enflamme les jardiniers amateurs séduits par la composition, qui se verraient bien avec la même chose dans leur jardin. Que faire quand les fleurs fanent ? Car tout le monde le sait, il faut laisser aux bulbes le temps de se régénérer pour qu’ils refleurissent l’année prochaine. Ceci impose de laisser les feuilles en place jusqu’à ce qu’elles jaunissent. Non seulement il faut habilement manier la tondeuse pour faire le tour des narcisses, mais encore l’effet, cette fois, est-il loin d’être charmant.
Tout à fait entre nous, voici le truc trouvé à Giverny : des bordures de fleurs sont installées autour des pelouses, avec des fleurs un peu hautes. A peine les narcisses fanés, voilà l’inesthétique tableau qu’ils laissent derrière eux caché par un écran de superbes floraisons de lunaires ou de juliennes des dames, qui en ont profité pour pousser entre-temps.

Accord parfait

Pensées et primevèresC’est tout l’art des jardiniers de Giverny de marier les fleurs à la perfection.
Dans chaque massif, des camaïeux de pensées déclinent en ce moment toutes les nuances de violet, de bleu, d’orange…
Petites et grandes têtes s’agitent dans la brise, habillées de couleurs presque semblables, qui se répondent et se rehaussent les unes les autres.
Parfois, l’harmonie ton sur ton se propage aux espèces voisines.
Au bout du pont japonais, le visiteur attentif des jardins de Monet remarquera, par exemple, cette association délicate d’une primevère sauvage jaune pâle et d’une mini pensée aux teintes assorties.
Elles me font penser à un couple quand, après des années de vie commune, l’homme et la femme finissent par se ressembler.

La vie de château

Château de Bizy, Vernon, FrancePour un guide, il n’est pas difficile de savoir si son auditoire apprécie sa prestation : une écoute attentive, des rires, une ambiance détendue, sont déjà de bons signes. Si le groupe reste groupé pour ne pas perdre une miette des commentaires, c’est encore mieux. La visite se terminera dans des remerciements chaleureux, souvent accompagnés de généreux pourboires.
Au contraire, si tout le monde bâille à tour de rôle, que l’humour tombe à plat, et que les participants commencent à s’égailler dans la nature, c’est mal parti. On finira piteusement la visite avec une poignée de personnes qui n’ont pas osé s’échapper, peut-être par courtoisie ou par pitié.
Je crois que l’un et l’autre scénario sont déjà arrivés à tous les guides. Et autant il est agréable d’entendre des éloges, autant il est difficile de constater les échecs.
Quand ces deux expériences diamétralement opposées se succèdent à quelques jours d’intervalle, comment ne pas s’interroger sur leurs causes ? Celles-ci, pourtant, ne se laissent pas facilement cerner. Elles n’ont en tout cas pas grand chose à voir avec la visite elle-même, car le même guide, avec le même discours, dans les mêmes conditions de public, de météo, d’horaire, peut très bien passer parfaitement des dizaines de fois, et soudain déplaire.
Cela tient, il me semble, à l’effet de groupe, cette bizarre alchimie qui s’établit entre des personnes au bout de quelques temps. A l’attente des participants. A cette très légère inflexion qui va faire du guide, non pas un conteur, mais un prof, ou une madame je-sais-tout fatigante. A une toute petite erreur de timing, un défaut d’attention à la lassitude de l’auditoire.
J’essaie de cerner les écueils, pour tenter de les éviter. Les échecs m’affectent. Mes collègues qui ont derrière eux une ou plusieurs décennies de guidage sont plus philosophes.
Les succès ne sont pas moins mystérieux. A quoi tiennent-ils ?
J’ai improvisé cette semaine une visite de Vernon et du château de Bizy qui avait tout pour finir en casse-pipe.
Il faisait un froid de canard dans le petit matin. Je n’avais pas une idée précise du temps nécessaire à chaque étape. Certaines personnes marchaient avec une canne, il fallait être attentif à aller tout doucement, alors qu’en dix minutes nous étions tous glacés jusqu’aux os.
En dépit de tout cela, ce petit tour de ville s’est révélé très agréable. J’aime ma ville, comme tout le monde, c’est une joie de la faire découvrir. Et, contre toute attente, la visite du château de Bizy qui a suivi a été un moment extraordinaire.
C’était la première fois que je guidais au château, au pied levé, et j’étais bien loin d’être au point. Je me suis embrouillée dans les propriétaires successifs, je ne me rappelais d’aucune date précise, il me manquait des mots en anglais, un guéridon, un pédiluve… J’accumulais les périphrases. Mais nous étions seuls dans ce beau château privé richement meublé, avec le sentiment d’un privilège d’être là.
Et puis, il y a eu un moment de grâce. Je venais de présenter le piano Erard décoré au vernis Martin, quand la charmante gardienne des lieux nous a fait la surprise de proposer à quelqu’un d’en jouer.
Pendant quelques secondes, la question a flotté dans l’air. Qui allait oser se lancer devant les autres pour faire sonner la précieuse antiquité ? Enfin, une dame s’est avancée. Penchée au-dessus du cordon de sécurité, elle nous a interprété une petite étude. Que dire ? Dans ce décor somptueux, le moment a été magique, et je crois que je n’étais pas la seule à avoir la chair de poule.
Après cela, tout le groupe était dans un état second, heureux de se trouver là.
A l’arrivée, chaque participant est venu me dire à quel point cette matinée avait été merveilleuse. En particulier, que c’était bon d’avoir eu le temps de voir tranquillement les choses, sans se presser.
La leçon que j’en tire ? L’humilité. Sur les visites que je connais bien, j’ai peut-être tendance à parler trop, ou trop vite. Une guide qui a une longue expérience derrière elle me disait que plus le temps passe, moins elle en dit.
Toute la difficulté consiste à trouver le bon compromis entre laisser parler les choses, et les faire parler.

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

Catégories