Porte-drapeau
Qui sortira son bout d’étoffe tricolore le 14 juillet prochain ? En Normandie, les architectes de la Reconstruction ont très souvent prévu des porte-drapeaux aux maisons, dans la ferveur patriotique de l’après-guerre. Après les longues années d’occupation, cela paraissait on ne peut plus normal de manifester son attachement au drapeau, symbole d’un pays libre et souverain.
C’était il y a soixante ans, les Français étaient fiers de pavoiser. Et aujourd’hui ? Les porte-drapeaux sont toujours là, intacts, prêts à servir. Mais seuls les grands enjeux sportifs sont susceptibles de les regarnir. La flamme patriotique le jour de la fête nationale vous attire un regard en biais des voisins. Ca ne se fait plus, et rien n’est plus grégaire qu’une société humaine.
Malgré les invitations réitérées dans la presse à participer aux dépôts de gerbes, comme d’habitude chacun restera dans son lit douillet le jour du quatorze juillet.
Et le vieux drapeau d’époque retrouvé au grenier soigneusement roulé, avec ses couleurs passées et sa pointe en fer de lance, ne reprendra pas du service. Il représentait trop pour ceux qui l’ont caché pendant quatre ans, attendant avec espoir le jour où ils pourraient l’arborer à nouveau à la façade.
Si on l’exposait à l’air de la campagne 2007, la vénérable relique attraperait le rhume des foins.
Projet de jardin
A quoi ressemblera le jardin cette année ? La question est encore d’actualité pour beaucoup de jardiniers. A Giverny en revanche, voilà bien longtemps que les plantations sont planifiées : la maison de Claude Monet et ses jardins ouvrent dans une semaine. Comme chaque année, l’équipe de la Fondation Monet aura accompli un tour de force en préparant la floraison de dizaines de milliers de fleurs.
Aucun particulier ne peut rivaliser avec les moyens déployés ici, et c’est parfois un peu déprimant de retrouver son modeste jardin après avoir vu les splendeurs de Giverny. Pour se consoler, il faut se dire que Monet n’a pas créé son univers en un jour. Il lui a fallu beaucoup de temps et d’efforts, près d’un demi-siècle, pour parvenir à la perfection formelle que nous admirons aujourd’hui.
Claude Monet a vécu quarante-trois ans à Giverny, une longue période qu’on peut diviser en quatre étapes.
Monet a d’abord été locataire pendant sept ans avant d’acquérir en 1890 la propriété dont le terrain se résume à l’actuel Clos Normand. C’est un verger agrémenté de parterres entourés de buis taillés et traversé par une sombre allée d’épicéas. Les premières années ne connaissent que des transformations légères. Une partie du jardin est dévolue au potager, où la famille se dépêche de planter des légumes pour sa subsistance. Les enfants sont chargés d’arroser en tirant l’eau du puits. Monet sème ses premiers massifs de fleurs.
Devenu propriétaire, le peintre fait bâtir sa première serre pour les orchidées et les plantes exotiques. Sa situation financière s’améliore. En 1892 il est en mesure d’embaucher un chef jardinier bientôt secondé par cinq aides.
En 1893, Monet achète une bande de terrain de l’autre côté de la route et fait creuser un premier bassin aux nymphéas, bassin redessiné en 1901 après l’achat d’une parcelle voisine.
Dernière étape en 1911, après les inondations catastrophiques de 1910, Monet fait agrandir le bassin et transforme son jardin d’eau. Cela fait vingt-huit ans qu’il est arrivé à Giverny.
Départ pour Hastings
La Normandie, et tout particulièrement le Calvados, cultive le souvenir de son grand duc Guillaume le Conquérant. Du château de Falaise où il est né à celui de Caen dont il a fait sa capitale, la dotant de deux abbayes, en passant par la Tapisserie de Bayeux qui célèbre ses exploits, Guillaume a laissé une empreinte encore bien visible un millénaire plus tard.
Mais il est plus étonnant qu’hors de Normandie, une autre ville lui rende un hommage appuyé. C’est le cas de Saint-Valéry-sur-Somme. Comme son nom l’indique, la ville est située dans le département de la Somme, à deux heures trente de Giverny.
Bien qu’elle soit devenue station balnéaire au début du siècle dernier, cette très ancienne cité a conservé un fort caractère médiéval.
L’histoire raconte que c’est dans son port que la flotte normande partie de Ouistreham Dives-sur-Mer, près de Caen, a fait une longue escale dans l’attente des vents d’est (pas si fréquents) qui lui permettraient de faire voile vers l’Angleterre, avec armes et bagages. Stèle et bas-reliefs rappellent cet événement.
L’autre héroïne locale reliée à la Normandie n’est autre que Jeanne d’Arc qui, prisonnière, fit un passage à Saint-Valéry-sur-Somme avant d’être conduite à Rouen.
Jean Monnet ou Jean Monet ?
Porter presque le même nom qu’un autre est source d’interminables confusions. A l’heure où l’on célèbre le cinquantenaire du traité de Rome, et où l’on rend un hommage mérité à l’un de ses pères fondateurs, Jean Monnet, il est temps de mettre les choses au point : l’homme d’Etat s’écrit avec deux n et n’a rien à voir avec la famille de Claude Monet.
Pas l’ombre d’un lointain cousinage, à peine un lointain voisinage. Claude Monet et son fils Jean ont vécu à Giverny, dans l’Eure, à une cinquantaine de kilomètres de Bazoches-sur-Guyonne dans les Yvelines, où Jean Monnet demeurait.
Le site de l’association Jean Monnet s’empresse lui aussi de clarifier l’encombrante homonymie, et vous donnera tous les détails sur le grand homme, né en 1888, qui a marqué l’Histoire.
Quelques années plus tôt, en 1867, un petit bonhomme vient au monde. C’est le premier fils de Claude Monet et de Camille Doncieux. Ses parents l’appellent Jean.
Les premières années du petit Jean sont marquées par la précarité de la famille, qui vit dans des conditions difficiles, presque sans ressources. Mais l’enfant grandit entouré de la tendre sollicitude de sa mère et de son père.
Claude Monet, qui avoue son attendrissement devant le bébé, le peint à plusieurs reprises seul ou avec d’autres personnes : dans son berceau ; endormi ; avec un bol ; à la table familiale… Le petit Jean n’a que deux ans quand il pose pour ce portrait où il apparaît rêveur, le visage empreint d’une douce gravité.
Chaise en pierre
Il n’y aura pas d’amoureux pour se bécoter sur ce banc-là, ou alors il faudra qu’ils se fassent tout petits. La ville d’Evreux a choisi ce modèle de siège monoplace en pierre pour animer ses rues, en alternance avec de gros blocs de granit sans dossier qui font office de banc, et sur lesquels on peut asseoir la moitié d’une colonie de vacances.
Tout cela n’a pas le charme désuet des bancs publics parisiens, mais dans le genre contemporain, ces sièges en pierre possèdent des arguments de poids.
La chaise que voici est très confortable, surtout quand le soleil a chauffé un peu la pierre. Le confort est affaire d’inclinaison et de dimension d’assise, bien calculés ici.
La rainure ménagée au bas du dossier permet à l’eau de s’écouler.
Le matériau et son coloris se fondent parfaitement dans l’environnement urbain. Le design sobre et épuré évite le look paléolithique.
Enfin, côté entretien, rangez les pots de peinture, ces sièges restent en place sans embêter le monde. Si en plus c’était économique, ce serait la cerise sur le gâteau.
La maison de Monet
Claude Monet a mis tout son art à décorer sa maison de Giverny, où il a vécu 43 ans. Il en a fait un lieu intime et confortable à découvrir absolument si vous venez à Giverny.
La maison rose aux volets verts s’étire le long de la rue principale du village, sa façade tournée vers le jardin. Le plan tout en longueur vient des agrandissements voulus par Monet pour loger sa grande famille : les deux fils qu’il a eus avec Camille, sa future épouse Alice, et les six enfants de celle-ci.
La visite commence par le petit boudoir bleu décoré d’estampes japonaises, où Alice passait l’après-midi en compagnie des enfants, à broder ou à lire. Le temps y est toujours rythmé par le tic-tac de l’horloge peinte en bleu comme les boiseries.
On traverse ensuite l’épicerie installée dans l’entrée secondaire, qui permettait à Monet de faire passer marchands et amateurs directement dans son atelier. Comme les estampes, les meubles de style bambou révèlent le goût de Monet pour le japonisme.
En contrebas de quelques marches, on visite ensuite le premier atelier de Claude Monet, le seul endroit de la maison où il exposait ses propres toiles. Certaines étaient à vendre, d’autres étaient conservées en souvenir de périodes marquantes de sa vie et de sa carrière.
Un escalier étroit conduit à l’étage où Monet s’était réservé la plus grande chambre. Il faut l’imaginer couverte des oeuvres de ses amis impressionnistes Sisley, Renoir ou Cézanne.
De la fenêtre de sa chambre, la vue plongeante sur le jardin fleuri permet d’apprécier le dessin géométrique des plates-bandes.
On traverse ensuite le cabinet de toilette de Monet, où il prenait tous les matins un bain froid, avant de choisir dans la garde-robe les vêtements adaptés à son emploi du temps du jour.
Le cabinet de toilette d’Alice fait suite à celui de Monet, puis vient la chambre d’Alice, émouvante dans sa simplicité.
De là, l’escalier principal de la maison redescend vers la salle-à-manger. C’est la pièce la plus spectaculaire de la maison. Elle surprenait tous les contemporains qui y ont été reçus, artistes, écrivains, marchands, hommes politiques… Monet l’a voulue entièrement jaune, meubles et murs, une couleur qui met en valeur les estampes japonaises et la vaisselle bleue. Raffinement suprême, la cuisine voisine est couverte de carreaux bleus pour qu’elle s’harmonise avec le jaune de la salle-à-manger quand on en ouvrait la porte pour apporter les plats !
La visite de la cuisine confirme l’importance que Monet accordait aux plaisirs de la table. Dans cette pièce spacieuse parfaitement agencée pour l’époque, la cuisinière et son aide disposaient d’un grand fourneau et d’une collection de cuivres rutilants qui leur permettaient de préparer des repas élaborés pour dix à vingt personnes chaque jour.
Contre temps
C’est le printemps demain, pincez-moi… Depuis deux jours les petits matins sont blanchis d’une neige fondante, incongrue sur les premières tulipes.
Les voitures qui descendent du plateau arborent une belle couverture blanche, mais dans la vallée de la Seine, les flocons ne tiennent pas. Aucun souffle, il ne fait même pas froid. On patauge dans un centimètre de neige gorgée d’eau qui n’est bonne à aucun jeu, à aucune métamorphose, qui n’est qu’un regret de la saison qui s’en va, un spasme de l’hiver qui meurt sans avoir donné le meilleur de lui-même.
Le chemin de l’école détrempé est plein de flaques d’où émergent, deci-delà, des îles. Nous avons chaussé nos bottes de sept lieues pour traverser cet archipel.
Une lieue, c’est quatre kilomètres en langage de conte, les enfants le savent bien.
– Sept fois quatre vingt-huit, ça fait 28 kilomètres alors ?
– C’est comme d’aller en un seul pas d’ici à Mantes-la-Jolie ou à Evreux.
Les chevaux de l’imaginaire étaient lancés. Nous avons calculé combien de pas il faudrait pour aller jusqu’à Paris – trois pas seulement, puis pour traverser la France. A grandes enjambées, nous avons franchi la Beauce, le Massif Central, le Midi toulousain avant d’escalader les Pyrénées que nous avons dévalées vers l’Espagne. La température s’est adoucie sensiblement, le temps d’approcher de Gibraltar et de franchir la Méditerranée – on donne la main pour traverser la route. De l’autre côté, c’était l’Afrique, la brise de mer qui agitait les palmiers-dattiers. Il tombait de gros flocons mouillés sur les plages du Maroc, ce matin…
Un musée Ariane à Vernon ?
Est-ce la contagion des promesses électorales ? C’est un scoop, la municipalité de Vernon planche sur un projet de musée de la fusée Ariane. Le lieu serait déjà trouvé, l’ancienne caserne en cours de restructuration à côté du centre ville, les collections existent, inaccessibles pour l’instant dans l’enceinte de Snecma, ex Société européenne de propulsion ; il ne resterait plus… qu’à tout faire, c’est-à-dire passer de l’idée à la réalisation en faisant naître le musée.
C’est à la fois un projet formidable et risqué. Imaginez comme cela pourrait être bien, un espace didactique, ludique dans le style de la Cité des Sciences, qui nous expliquerait façon C’est pas Sorcier comment c’est possible de faire voler des engins dans l’espace, comment on les y expédie, comment on les récupère, les mystères de la pesanteur et de l’attraction terrestre, les nouveaux combustibles révolutionnaires qu’on utilise, les piles solaires, à quoi servent les satellites, la coopération spatiale européenne, et toutes ces questions qu’on ne s’est peut-être jamais posées mais dont on est bien content d’apprendre la réponse…
Et maintenant imaginez le même sujet version musée industriel… Ce n’est pas tout d’avoir à Vernon le site de conception et de fabrication des moteurs de la fusée Ariane. Il reste à créer un espace muséographique attractif, à la hauteur de la notoriété internationale du lanceur européen. Un vrai et beau challenge.
Le printemps des Poètes
( « Le Matin au bord de la mer », huile sur toile 61 x 81 cm, 1881, collection particulière, vue prise entre Fécamp et Yport)
C’est le dernier jour du Printemps des Poètes.
Merci à Florian, 16 ans, pour ce beau poème inspiré des tableaux de falaises de Monet :
La Tueuse
La falaise dressée, calme et majestueuse,
Contemple l’horizon aux couleurs de corail.
Le soleil fait saigner la pierre des murailles
Que la mer veut ronger de ses vagues hargneuses.
Sous son habit de ciel se cache une tueuse
Aux lames acérées, prête à livrer bataille.
Le temps ne compte pas pour ses flots qui assaillent
La roche qui résiste et qui pourtant se creuse.
L’issue de cette guerre est écrite d’avance,
Le rocher cèdera au terme des souffrances.
L’Homme aussi est livré aux attaques du Temps ;
Même s’il se croit fort comme un rempart, solide,
Le sablier s’écoule et peu à peu se vide,
Son destin est fatal, déjà la Mort l’attend.
Thomas Buford Meteyard
Vous avez peut-être reconnu l’église de Giverny sur cette toile attribuée à Thomas Buford Meteyard, que le musée de Vernon a acquise en 2005. Meteyard fait partie de la colonie de peintres étrangers, principalement américains, qui ont travaillé à Giverny à la fin du 19e et au début du 20e siècle.
Meteyard s’est singularisé en s’intéressant aux variations de la lumière la nuit. Il est l’auteur de séries d’aquarelles et d’huiles au clair de lune. Son traitement de ces motifs s’éloigne pourtant d’une approche impressionniste. Sur cette toile, on voit bien comment les larges à-plats de couleurs, leur rendu mat, l’apparition quasi fantomatique de l’église dans la clarté nocturne le rapprochent du symbolisme.
Thomas Buford-Meteyard est né à Rock Island dans l’Illinois en 1865, mais il a vécu longuement des deux côtés de l’Atlantique – en Angleterre, en France, dans le Massachusetts et en Suisse où il meurt en 1928. Pendant sa période parisienne, il se lie avec le peintre norvégien Edvard Munch et le poète Stéphane Mallarmé. A Giverny, il est l’ami du peintre américain John Leslie Breck, lui aussi adepte des vues au clair de lune.
Le musée de Vernon présente actuellement une exposition des oeuvres qui sont entrées dans ses collections depuis l’an 2000. Toutes les sections du musée sont représentées, l’art animalier occupant le devant de la scène avec un monumental laque aux Ibis de Gaston Suisse, des plâtres de kangourous, de chevrettes, de chat, de Righetti, des sculptures de chiens de Fath, des pochoirs de Benjamin Rabier, un recueil de gravures de panthères de Jouve… Le cabinet des dessins s’est enrichi de Steinlen et d’Ostier poignants.
Le parcours propose une réflexion sur ce qu’est un musée. Le hasard des donations a présidé à la constitution des collections du musée de Vernon, que ses conservateurs successifs et l’association des Amis du Musée se sont attachés à compléter avec cohérence.
Aulne
Comme un feu d’artifices silencieux, la floraison des arbres a commencé. Le spectacle va durer deux mois.
Pendant que les arbres à fruits se transforment en gros bouquets blancs ou roses, d’autres ont des mises en beauté plus discrètes. C’est le cas de l’aulne.
L’aulne est affublé d’un surnom grotesque, glutineux. Tout ça parce que ses jeunes feuilles sont poisseuses, gluantes, bref glutineuses (de la nature du gluten). Il n’y a pas de quoi en faire un plat, alors que tout est élégance dans cet arbre.
Regardez-le fleurir en ce moment. Les chatons mâles retombent délicatement au bout des rameaux, on dirait des pendants d’oreilles. A côté, grosses comme des grains de riz, les fleurs femelles attendent un souffle de vent pollinisateur. En fin de saison, elles se transformeront en petits cônes ligneux semblables à de minuscules pommes de pin. Les fruits de l’an dernier sont encore sur l’arbre, en colliers de perles le long des branches, ils complètent la parure.
Et les feuilles ? Pas de bourgeons en vue ? Rien n’est plus urgent que de s’occuper des fleurs et des fruits, foi d’arbre, les feuilles viendront plus tard.
L’autre nom de l’aulne, c’est la verne. Vernon en dériverait, une toponymie logique pour une ville située le long d’un cours d’eau comme la Seine. L’aulne aime en effet les bords de rivière où il trouve l’eau et le soleil dont il a besoin.
J’ai photographié celui-ci au bout du pont Clemenceau, côté Vieux Moulin. Le houppier de l’arbre frôle le parapet du pont, si bien que pour une fois, on peut voir l’arbre non pas d’en bas, mais comme un oiseau posé sur une branche.
Combien de tableaux Monet a-t-il peints ?
Dans son catalogue raisonné de l’oeuvre de Monet, Daniel Wildenstein a recensé environ 2000 tableaux, tous des huiles sur toile : le dernier porte le numéro 1981, mais les Grandes Décorations de l’Orangerie, ces panneaux immenses, hors normes, ne sont pas comptés dans la numérotation.
Le catalogue ne tient pas compte des dessins, pastels, esquisses, rarement signés, et dont beaucoup ont par conséquent été perdus.
Sur ces 2000 toiles, Giverny s’impose comme le sujet de prédilection de Claude Monet. Rien de plus naturel au regard des 43 ans qu’il y a passés, la moitié de sa vie.
Claude Monet a peint son jardin d’eau 272 fois, son jardin fleuri 52 fois, soit un total de 324 vues prises dans son jardin.
Peintre du plein air, Monet n’a représenté sa maison que de l’extérieur, en arrière-plan du jardin fleuri, mais jamais en scène d’intérieur comme il l’avait fait ailleurs au début de sa carrière.
Le peintre est aussi allé peindre aux alentours de chez lui, ce qui s’est concrétisé par 238 vues de Giverny, coquelicots, bords de l’Epte, meules, marais, peupliers, prairies, routes, vergers, Seine, etc. Le village en lui-même paraît comparativement sous représenté, seulement 16 fois.
Avec 4 occurences, l’église n’a guère inspiré Monet, contrairement à celles de Vétheuil, de Vernon ou à la cathédrale de Rouen.
Château-Gaillard
Voici l’endroit où s’est placé Philippe-Auguste, le roi de France, quand il a assiégé la forteresse de son meilleur ennemi, Richard Coeur de Lion. Meilleur ennemi, parce qu’ils ont fait mine de s’entendre le temps de participer ensemble à la croisade. Mais au retour le naturel a repris le dessus. Le petit roi de France a des visées sur les terres de son bouillonnant et très puissant voisin, duc de Normandie et Roi d’Angleterre.
Imaginez la convoitise de Philippe-Auguste, alors qu’il a une si bonne vue sur le château-fort. Il en fait le siège des mois durant, et puis, un beau jour, il passe à l’attaque.
L’éperon rocheux sur lequel est bâti Château-Gaillard a beaucoup d’atouts, néanmoins son point faible est d’être attaquable par l’arrière. Le château n’est pas tout à fait au sommet du coteau, une petite forêt le domine. Philippe-Auguste y place ses machines de guerre, qui ressemblent encore beaucoup à celles des Romains dans Astérix.
Je raconte ici l’histoire de Château-Gaillard, si cela vous intéresse. Je voulais juste vous suggérer, si vous envisagez de venir visiter le site, de pousser jusqu’à ce point de vue.
En voiture ou en car, on arrive par le haut de la colline. Le début du chemin se trouve à l’entrée de la forêt, sur la gauche. Ce n’est pas loin, cinq ou dix minutes de marche en sous-bois. Attention, le chemin est très en pente à un endroit, et parfois presque envahi par les ronces. Mais vous êtes de preux chevaliers prêts à partir à l’assaut du château, oui ou non ? Au bout, on est récompensé par une vue magnifique, encore plus belle que celle que l’on a depuis le château ou le parking. Et ce n’est pas peu dire.
Buffet cauchois
Ce buffet cauchois de la fin du 18e siècle ressemble comme deux gouttes d’eau à ceux que Monet a installés côte à côte dans sa salle à manger de Giverny : même corniche en anse de panier, mêmes portes vitrées à volutes… A un détail près : celui-ci a gardé son aspect bois d’origine, la belle teinte chaude du mélèze.
Pour qu’ils se fondent parfaitement dans le décor de la pièce, Monet a fait peindre ses deux buffets comme les murs et les corniches, de deux tons de jaune de chrome. La vaisselle bleue qu’ils abritent et qui se devine à travers les portes vitrées s’en trouve mise en valeur.
Au moment où Monet les a achetés, les deux buffets jumeaux étaient sans doute neufs, ou peu anciens. Ce n’était donc pas un sacrilège de les recouvrir de peinture. Aujourd’hui, il vaut mieux y réfléchir à deux fois avant de faire subir le même sort à des buffets cauchois, devenus des antiquités, qui y perdraient irrémédiablement une patine de deux siècles. Les buffets suédois contemporains conviennent davantage à l’expression de tous les talents de coloristes.
Pourquoi y a-t-il des monstres à l’extérieur des églises ?
Cette mignonne petite bête qui escalade le portail de la collégiale Saint-Vulfran d’Abbeville vous rappelle quelqu’un ? Ne dirait-on pas Denver, le dernier dinosaure, héros des dessins animés de la télévision ?
D’un anachronisme à l’autre, on peut se demander où les sculpteurs du Moyen-Age sont allés chercher le modèle de ce monstre. Si l’on s’imagine un peu vite qu’ils n’avaient aucunes connaissances archéologiques, la ressemblance avec les dinos est assez troublante.
Que vient faire cette bête à cet endroit-là ? La question s’impose chaque fois que l’on regarde une église gothique de quelque importance, face à la multiplication des gargouilles et des monstres en tous genres.
L’explication la plus courante est qu’ils sont là comme des épouvantails, pour faire fuir les démons attirés par toutes les âmes réunies à l’intérieur de l’édifice.
Mais un tailleur de pierre vient de me donner une autre analyse qui m’a fait l’effet d’une révélation, tant elle semble évidente après coup : les gargouilles et autres monstres sont une matérialisation dans la pierre des démons en train de fuir de l’église, repoussés par la sainteté du lieu. Un peu comme si on pétrifiait des vampires battant en retraite parce qu’ils ont aperçu des gousses d’ail.
Transformés en gargouilles, voilà les monstres matés, cracheurs d’eau bienfaisante plutôt que de feu destructeur.
Séjour en francophonie
Qu’a retenu Monet de son séjour sous les drapeaux en Algérie, en 1861-62 ? Les femmes parées de bijoux d’or, les chameaux et leur démarche altière, presque chic ?
Y a-t-il connu son premier amour, l’a-t-il fait valser au bal du 14 juillet ?
A-t-il aimé, quand il bivouaquait à quelques mètres de la plage, les couchers de soleil aux teintes abricot ?
L’armée française n’avait certes rien à voir avec une bande de bachi-bouzouk, mais dans son costume bleu et rouge, qui paraît si bizarre aujourd’hui où règnent les tenues de camouflages passe-partout, le jeune Monet avait un air de clown, comme on peut en juger sur ce Portrait de Claude Monet en uniforme par Charles Lhuillier, daté de 1861 et conservé au musée Marmottan à Paris.
Vous aussi, du 10 au 20 mars 2007, laissez libre cours à votre imagination et participez à la Semaine de la langue française et de la francophonie en jouant avec les dix mots proposés : abricot, amour, bachi bouzouk, bijou, bizarre, chic, clown, mètre, passe-partout, valser.
L’art de photographier les jardins
L’impressionnisme est une gageure, celle de rendre, par la technique lente de la peinture, l’impression d’un instant. Si l’on s’en tient à cette définition, la photographie paraît impressionniste par nature, puisqu’elle fixe instantanément l’instant.
Bien sûr, il y a des photos qui sont intemporelles. Et bien sûr, la peinture impressionniste, c’est aussi une touche, un choix de motifs, une réflexion sur le rôle de l’art…
La photographe Anne Chrysotème excelle dans l’art de l’impressionnisme photographique. Il y a quelques années, elle s’est prise de passion pour les jardins de Claude Monet à Giverny, au point d’y fixer sur la pellicule argentique plusieurs milliers de clichés.
Quand elle arrive avec sa dernière moisson, c’est toujours un moment d’émerveillement de découvrir ses photos pleines de poésie, de magie. Son talent me bluffe. Comme le peintre transforme un paysage en oeuvre, elle magnifie ce lieu que je connais bien, avec sa vision personnelle d’artiste.
A Giverny, Anne Chrysotème aime les reflets du jardin d’eau, les couleurs de l’automne. En suivant ce lien, vous verrez d’ailleurs que la photo n’est pas le seul de ses talents.
Anne prend son temps pour tirer le portrait des fleurs comme ces roses du Clos Normand, devant la maison du peintre.
Si vous voulez essayer d’en faire autant, il vous faut un appareil avec une bonne optique, qui permette de jouer sur la profondeur de champ. Passez-le en mode manuel, choisissez une grande ouverture de diaphragme et réglez la netteté du premier plan. Petit truc, Anne recommande de choisir un arrière-plan sombre, le ciel ne donne pas grand-chose. Pour le reste, l’oeil, la composition, sont affaires personnelles.
Frederick et Mary MacMonnies
Cette toile de grandes dimensions (97 x 163 cm) de Mary Fairchild MacMonnies est un des chefs d’oeuvres du musée de Vernon. Elle représente le jardin de l’artiste en hiver.
L’impressionniste américaine et son époux Frederick MacMonnies, peintre et surtout sculpteur, ont habité Giverny. A la fin des années 1890, les MacMonnies sont les deux artistes les plus marquants de la colonie de peintres étrangers qui a jeté son dévolu sur le village.
A cette époque, les MacMonnies jouissent d’une certaine aisance. Ils emménagent dans un ancien monastère du 16e siècle, que leurs amis renomment bientôt le MacMonastery.
La demeure est entourée d’un parc d’un hectare et demi. Au tournant du siècle, Claude Monet n’est pas le seul à avoir un magnifique jardin à Giverny. De l’avis de certains visiteurs, celui des MacMonnies, à l’autre extrémité du village, est encore plus beau. Plus dans le goût du temps, en tout cas. On voit bien ici le bassin au milieu duquel se dresse une statue du dieu Pan. D’autres statues antiques sont alignées sur le mur au second plan. Monet, en revanche, n’a que faire de cet académisme, on ne trouve pas une seule statue dans son jardin.
Comme souvent avec les oeuvres des peintres américains réalisées à Giverny, on ne peut s’empêcher d’établir des comparaisons avec Monet. Le « Jardin en hiver à Giverny » de Mary Fairchild MacMonnies évoque le maître de l’impressionnisme à plus d’un titre :
– la localisation du motif (Giverny, reconnaissable à la colline à l’arrière-plan),
– le thème traité (un coin de jardin),
– le traitement de la lumière (touche vibrante et dorée),
– l’importance du moment de la journée (le matin, à en juger par le sens des ombres)…
Toutes ces caractéristiques font penser aux paysages d’hiver de Monet, à la Pie, aux Glaçons, à la route près d’Honfleur, aux Meules en hiver… Claude Monet a exercé une influence indéniable sur Mary MacMonnies. Comme lui, elle a d’ailleurs représenté son jardin à plusieurs saisons, des toiles que l’on peut voir également au musée de Vernon.
Aujourd’hui, l’ancienne propriété des MacMonnies s’appelle le Moutier, nom qui dérive de monastère, et se trouve non loin de l’église.
Les Refusées du Salon
Il n’y a pas qu’au Salon de l’Agriculture (qui, au cas où cela vous aurait échappé, se tient cette semaine Porte de Versailles à Paris) qu’on peut voir des vaches et des veaux. En Normandie, on a ça toute l’année chez nous. Certes, les bovins ne sont pas aussi astiqués que ceux qui participent au salon parisien. Les vaches ont des mensurations ordinaires. Ce ne sont pas les Claudia Schiffer des bovidés. Elles sont juste normales, comme vous et moi, qui ne songeons pas à concourir pour Elite. A tous les coups, si elles essayaient, elles seraient refusées au Salon.
Hier, je suis allée assister à la traite du soir. Elle commence à 17 heures, et il faut une heure trente pour traire les 80 vaches laitières de l’exploitation, une opération qui se répète deux fois par jour.
Ca rend zen de regarder des vaches. Certaines sont pressées de se faire traire, les dominantes du troupeau passent les premières. Mais la plupart patientent avec placidité. Elles s’engagent les unes derrières les autres dans la file qui mène à la salle de traite, comme si elles faisaient la queue au self, et certaines devront attendre près de 90 minutes, mais elles ne semblent pas s’en soucier. Comment font-elles ? D’où leur vient cette sérénité ? Elles ne discutent pas avec leurs voisines. Elles n’ont pas de MP3 dans les oreilles. Aucune distraction à l’horizon. Elles sont là, présentes de toute la masse de leur gros corps. A quoi pensent-elles ? Pensent-elles, d’ailleurs ?
La fermière m’a fait voir les veaux. Il est regrettable que ce mot soit masculin, car tous étaient des femelles. Les demoiselles sont conservées pour renouveler le troupeau, tandis que les jeunes gens finissent rapidement à l’abattoir. Cela peut être un avantage certain de naître avec des mamelles, en tout cas chez les vaches.
Il faut apprendre aux veaux à boire au seau, car cela ne va pas de soi de baisser la tête pour se nourrir quand on est programmé pour la lever vers le pis de sa mère. On leur appuie légèrement sur la tête, certains pigent au quart de tour, d’autres mettent plusieurs jours…
Les petits veaux sont tout à fait attendrissants, ils vous tètent la main goulûment, ils ont l’air de la prendre pour une grosse tétine en silicone. Leur pelage dru a le toucher d’une peluche.
En grandissant, les veaux deviennent joueurs et turbulents. Ils courent d’un côté à l’autre de l’étable sur leurs pattes grêles, si vite qu’on a peur qu’ils ne les cassent. Puis les génisses s’assagissent. Des plus jeunes veaux aux vaches allaitantes, les bêtes sont regroupées par âge, comme à l’école.
Toutes attendent avec impatience le moment d’aller brouter et gambader dans les prés. C’est pour bientôt, il y a de l’herbe, mais la pluie a rendu le terrain trop boueux. Est-ce à cela que vous songiez, Mesdames, en attendant la traite ?
Champ d’avoine
Il fut un temps où les Monet ne s’adjugeaient pas sous le marteau des commissaires – priseurs après d’haletantes ventes aux enchères, mais où ils s’offraient tout bonnement à la convoitise des collectionneurs.
Imaginez par exemple que vous vivez en 1891 à Boston, vous êtes amateur d’art, vous vous appelez Desmond Fitzgerald, et voilà que le 7 avril vous découvrez ce Monet-ci à la galerie J. Eastman Chase.
Je peux vous dire ce qui vous arrive : votre coeur s’emballe, et vous ne rêvez que d’une chose, c’est que votre cousin se porte acquéreur du tableau.
Pourquoi ? Je ne lis pas dans vos pensées à ce point là. Votre cousin John Nicholas Brown vous a peut-être demandé de le conseiller pour se constituer une collection ? Ou est-il plus fortuné que vous ? En tout cas, après avoir beaucoup admiré le Champ d’avoine, vous foncez au bureau des télégrammes et vous cablez ce mot enthousiaste à votre cousin qui habite Providence :
Le plus magnifique Monet vient d’arriver. Vous et votre mère l’admirerez. Il m’est réservé jusqu’à demain midi. Quinze cents $. Je vous supplie de dire oui, vous ne le regretterez jamais. Répondez oui ou non ce soir si possible.
Vous êtes sur des charbons ardents tout le reste de la journée. Enfin, à 8 heures du soir, vous retournez à la Western Union Telegraph Company juste à l’instant où le bureau va fermer, et, quel bonheur, le télégramme d’acceptation de votre cousin arrive à cet instant.
Ensuite, vous rentrez chez vous et, après dîner, vous reprenez la plume pour être un peu plus précis. Il s’agit de rassurer votre correspondant qui achète sans avoir vu.
Le tableau pourrait être vendu, si tu décides de ne pas le garder, mais il est d’une beauté surprenante et de la meilleure qualité – signé et daté 1890. Il a la même taille (N.D.L.R. : 50×76 cm) que ma Scène d’automne dans la bibliothèque – un peu plus grand que le tableau d’Antibes que tu as vu chez moi. Il est (…) arrivé de Paris cet après-midi. Nous ne sommes que quelques-uns à l’avoir vu.(…) C’est le tableau de Monet le plus complet que j’ai jamais vu, un chef d’oeuvre. C’est un champ de blé et de coquelicots avec quelques arbres, semblable à celui que toi et H aimiez mais bien bien meilleur à tous égards. Tu ferais bien de descendre pour le voir tout de suite. Mais il est impossible de te donner une idée de sa finesse et de sa beauté. C’est un jour chaud et vaporeux de plein été.
Et pour mieux vous faire comprendre vous griffonnez un petit dessin de la composition du tableau. Enfin, après avoir signé, vous rajoutez encore ce post-scriptum :
C’est une belle composition autant qu’une belle image. C’est le meilleur que j’ai jamais vu. Il vaudra plus de 10.000 dollars un jour.
Vous avez le goût sûr : votre cousin n’est pas déçu de son acquisition. Il l’aime tellement qu’il garde le tableau toute sa vie, et ses héritiers, tout aussi séduits, ne s’en séparent pas davantage.
On possède quelques détails sur la création de cette oeuvre. Daniel Wildenstein a déterminé qu’elle a été peinte « sur le plateau au nord du val de Giverny, à l’orée des bois de la Réserve et du Gros-Chêne, en regardant ver l’est. » Elle fait partie d’une mini série de quatre toiles peintes au même endroit pendant l’été 1890, quand, après une longue période de mauvais temps, Monet retrouve enfin la possibilité de travailler sur le motif, en plein air. Quant à savoir s’il s’agit d’avoine ou de blé, il faut un oeil d’expert pour faire la différence !
Le Musée nationale de la Céramique de Sèvres
De quelle couleur est ce vase ? Il vous paraît rose, n’est-ce pas ? Mais peut-être que, si vous allez le voir au musée national de la céramique à Sèvres, vous aurez l’impression qu’il tire plutôt sur le vert.
Cet énorme objet de plus d’un mètre de haut a été fabriqué dans la manufacture de Sèvres en 1883, en porcelaine dure dite « pâte changeante » : quand on le regarde à la lumière électrique, le vase est rose, tandis qu’il est vert céladon en éclairage naturel.
Ce fleuron de la manufacture accueille les visiteurs du musée à l’entrée des collections de porcelaine, et c’est un festival étourdissant de tout ce qui s’est fait de plus raffiné en la matière depuis plusieurs siècles, dans une débauche de décors minutieux et de dorures.
On doit à Louis XIV d’avoir imposé la faïence sur les tables des nobles, qui ne juraient auparavant que par la vaisselle d’orfèvrerie. Le métal précieux a trouvé un meilleur usage dans les coffres royaux… pour le plus grand bonheur des manufactures de faïences, qui connaissent dès le début du 18e siècle un essor sans précédent. De Marseille à Rouen et à Strasbourg, la vaisselle se pare de délicats motifs de fleurs, surtout des roses et des tulipes.
Sèvres est une manufacture de porcelaine créée plus tardivement, par Louis XV : vers 1770, on perce enfin le secret des porcelaines chinoises si fines et translucides, composées de kaolin, de quartz et de feldspath.
La manufacture de Sèvres fonctionne toujours, mais sa production est réservée à une élite capable de s’offrir des pièces de vaisselle dont les prix s’expriment avec trois ou quatre chiffres.
Beaucoup plus abordable, l’entrée au musée voisin permet de découvrir les différentes productions de céramiques à travers le globe, des grès japonais aux carreaux islamiques, des pavés de terre cuite aux statues religieuses.
Il faut moins d’une heure pour se rendre de Giverny à Sèvres. Le musée est situé tout près de la sortie du tunnel de Saint-Cloud au bout de l’autoroute de Normandie, l’A13. Il suffit de prendre la sortie Boulogne-Billancourt et de longer la Seine vers la droite sans la traverser.
Parlez-vous français ?
Je suis allée à l’étranger ce week-end. A Bruges. Cela faisait plusieurs lustres que je rêvais de cette destination, probablement la plus belle ville de Belgique, et j’ai fait toute la visite avec un sourire extatique semblable à celui qu’on voit souvent aux visiteuses de Giverny.
A quoi tient le bonheur d’être à l’étranger ? A cette façon de transformer les choses les plus ordinaires. C’est une baguette magique qui change la couleur des boîtes aux lettres, la forme des façades, les noms des magasins et les habitudes alimentaires.
A Bruges, les chocolateries fleurissent à tous les coins de rue. Après en avoir compté dix, je suis entrée dans l’une d’elles pour une double gourmandise : celle des douceurs fondantes et celle, exquise, de demander : « Parlez-vous français ? »
C’est une pure formalité, les commerçants belges maîtrisent parfaitement les deux langues officielles de leur pays, il n’y pas de doute là-dessus. Mais j’adore, en le disant, me régaler du fait d’être en pays flamand, et sentir que mon interlocuteur me fait une politesse, une faveur, en s’exprimant en français.
Moi qui ai tenté avec une réussite variable d’apprendre tant de langues, qui ne me sont d’aucune utilité ici, j’aime éprouver de la reconnaissance pour cet effort d’apprentissage et de mémorisation que la boulangère, le restaurateur, le passant dans la rue ont fourni il y a longtemps. Ce lourd travail qui ne m’était pas destiné, qui avait un but imprécis et global – communiquer avec les francophones – trouve son application aujourd’hui pour me renseigner ou me servir, et je le reçois comme un cadeau.
Les côtes anglaises par temps clair
Tout le littoral normand est baigné par la Manche. De la vallée de la Bresle, au Nord, à celle du Couesnon qui arrose le Mont-Saint-Michel, à l’Ouest, s’étirent des centaines de kilomètres de côtes. Les plages de sable fin alternent avec les plages de galets et les falaises bordées d’un interminable sentier des douaniers.
Bien avant l’apparition de l’Homme sur la Terre, les îles britanniques étaient rattachées au continent. Il reste de ce lointain passé des similitudes géologiques qui donnent aux deux côtes un air de famille : mêmes falaises crayeuses de chaque côté du Channel, même végétation calcicole, par exemple.
Pour qui se trouve en Normandie, la comparaison reste théorique, car il faut plusieurs heures de navigation depuis Cherbourg, Ouistreham, Le Havre ou Dieppe pour traverser le bras de mer et juger de la ressemblance. De nulle part depuis les côtes normandes, quel que soit le temps, on n’aperçoit la Grande-Bretagne, mais on sait qu’elle est derrière l’horizon. Autrefois, elle a fait l’effet d’un territoire à conquérir, ou d’une menace, ou d’un refuge, selon les époques. C’est une présence que l’on devine sans la voir.
Tout change quand on remonte vers le Nord et qu’on approche de Calais. Les deux côtes se rapprochent de façon spectaculaire, au point de laisser entre elles un couloir de 28 kilomètres seulement. Le cap Gris-Nez est le point le plus avancé du littoral français. Il forme un promontoire d’où la vue porte jusqu’à Folkestone. Par temps clair, les falaises anglaises s’élèvent au-dessus de l’horizon, ruisselantes de soleil, proches à les toucher.
N’était le vent, on resterait longtemps à regarder les bateaux qui se succèdent, tous à la queue leu leu. Cinq cents navires par jour font de ce chenal le passage maritime le plus fréquenté du monde.
N’était la pluie récente, on s’assiérait bien dans l’herbe rase, les yeux fixés de l’autre côté de la mer, à rêver de cet ailleurs so british. Et peut-être qu’au même instant, il y aurait quelqu’un d’autre, là-bas, en train de scruter à l’horizon les limites du continent européen, en rêvant de France et de voyage.
Mur en trompe-l’oeil
Où s’arrête la réalité ? Où commence l’illusion ? A Vétheuil un trompe-l’oeil représentant un vaste panorama anime la place du village devant la mairie. C’est la vue sur la vallée de la Seine que l’on aurait en montant au sommet de la colline.
On aperçoit, dans l’ombre, l’église du village. Dans le ciel peint, un planeur rappelle que l’aérodrome de Chérence est tout près, et que les adeptes de vol à voile viennent profiter des courants ascendants créés par les falaises.
La mise en place du dessin a été si habilement faite, en tirant parti au mieux des bâtiments, qu’il est difficile de distinguer le vrai du faux. Les mots Alimentation Générale sont hors de la fresque, mais le toit de la boutique est peint, on peut le vérifier en regardant le bord de la façade, parfaitement lisse, à gauche. Peint aussi, le petit chat sur le toit qui s’amuse à faire s’envoler un pigeon.
L’image réduite ne permet pas de rendre tous les détails, mais la fresque en fourmille, et pour une fois, on peut s’approcher tout près : elle descend à hauteur des yeux.
Sur la droite, au premier plan, l’artiste a imaginé une terrasse de café. Tous les peintres qui ont habité le village y sont représentés. Claude Monet figure en bonne place. Il est reconnaissable à sa longue barbe qui n’était pas encore blanche du temps où il vivait à Vétheuil, à la fin des années 1870.
Plaque émaillée
Voilà qui sent l’authentique : la police de caractères signe la Belle Epoque, de même que les côtés chantournés. L’usure aux coins, l’aspect bombé de cette plaque émaillée confirment qu’elle arrive tout droit d’il y a un siècle.
Le dessin, très délicat, illustre précisément le texte, il représente une branche de tilleul en fleurs où volètent des papillons.
La plaque a-t-elle été faite à la demande, ou ce modèle était-il courant à l’époque ? Le nom de la maison, en tout cas, n’est pas usurpé, puisqu’on aperçoit les tilleuls en question depuis le portail.
Ils étaient sans doute déjà là quand les propriétaires ont cherché un nom pour leur demeure, à moins que ce ne soient eux qui les aient plantés.
L’oeil jongle de l’écrit au dessin, du dessin au motif, comme dans une muséographie in situ. Il y a dans la concordance entre les trois – concordance de sujet et concordance temporelle – quelque chose de satisfaisant pour l’esprit : une cohérence qui se retrouve rarement dans les noms de maison plus contemporains.
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