Sortir avant la rentrée
Je ne sais pas si c’est la même chose chez vous, mais ici les opportunités de sorties se multiplient en cette fin août. Hier soir la salle des mariages de Vernon n’était pas assez grande pour contenir tous les spectateurs intéressés par une conférence sur la Libération de Vernon, intervenue le même jour que celle de Paris. Les archives viennent de révéler de nouveaux documents, en particulier un film, d’un très grand intérêt. La guerre filmée chez soi, dans ces rues et ces paysages bien connus, voilà des images tout à fait effrayantes et saisissantes.
En dehors de cette commémoration, les autres manifestations sont heureusement plus gaies. Fin août, c’est le rendez-vous annuel des cinéphiles dans toutes les salles obscures de l’Eure, avec tous les films à 3,50 euros. Parmi les avant-premières proposées, « Gemma Bovery » a pour cadre Lyons-la-Forêt. L’ennui, ce ressort essentiel de Madame Bovary, semble avoir inspiré le réalisateur.
Fin août, c’est aussi l’époque du Festival de musique de chambre de Giverny. Depuis onze ans, de talentueux jeunes artistes et des musiciens chevronnés se rencontrent pour jouer ensemble. Tous les soirs ou presque, ils proposent un concert à Giverny ou aux environs, et c’est toujours éblouissant. Le programme met chaque année un compositeur contemporain à l’honneur, présent au festival, et dont une oeuvre spécialement composée pour le festival est créée.
Fin août enfin, c’est encore un peu les vacances… Le château de Bizy s’en est souvenu en organisant une soirée aux chandelles. Une ambiance chaleureuse et intime règne la nuit dans les grandes salles du château baignées par cette lumière. Un battement de cil, et on aurait cru voir entrer Louis-Philippe.
Un mois d’août pas très doux
La buée s’accroche aux carreaux du salon-atelier de Monet. Il faisait 6° au petit matin sur les bords de l’Epte, une fraîcheur qui surprend, à laquelle on refuse de croire un 20 août. Il y a un certain dépit à s’emmitoufler déjà. Où est passée la belle saison ?
Dans les jardins, les pelouses ne cessent de pousser et les jardiniers de les tondre.
Pour les fleurs, ce n’est pas si mal. Nombre d’entre elles préfèrent la fraîcheur à la canicule, les arrosages du ciel à ceux des humains. Elles durent plus longtemps s’il ne fait pas trop chaud.
Partout, les prairies arborent fièrement une belle couleur émeraude. La Normandie est verte comme jamais en plein coeur de l’été.
Les vaches sont à la fête. Elles broutent, elles ruminent, elles recommencent. Elles me font penser à la philosophie de mon grand-père à l’égard du temps : s’il fait beau, ce sera bon pour la vigne, s’il pleut, ce sera bon pour les choux.
Pour les agriculteurs céréaliers, c’est la catastrophe. Dans l’Eure, les moissons ne sont toujours pas finies et elles seront mauvaises. Les paysans n’arrivent pas à battre le blé. Le grain germe dans les épis.
Dahlia le Magnifique
Avec les dahlias, même quand on les collectionne avec passion, on est toujours loin du compte. Le genre comprend 25 000 cultivars, annoncent les sites spécialisés. Cela laisse à penser que le dahlia est facile à hybrider. De là à obtenir à chaque fois des merveilles, il y a un pas.
Ce dahlia-ci déclenche des exclamations d’admiration à Giverny, année après année. Je n’ai donc pas été surprise quand l’une des jardinières de la Fondation Monet me l’a désigné par ‘le magnifique’. « C’est son nom », a-t-elle ajouté.
L’emphase est souvent de mise dans les noms commerciaux des cultivars, mais là, le qualificatif n’est pas usurpé. On imagine bien la joie et la fierté de l’obtenteur le jour où il a vu apparaître cette tête énorme aux couleurs de feu.
Monet aimait les dahlias, il en cultivait de différentes variétés et les a peints à plusieurs reprises. Ils sont présents sous forme de bouquets, de décoration de portes pour son marchand Paul Durand-Ruel, ou encore dans des vues de son jardin dès l’époque d’Argenteuil, comme celle ci-dessous.
Ce tableau se trouve à Prague, à la Narodni Galerie. L’énorme masse des dahlias occupe presque toute la toile, mais ce ne sont pas eux que l’on voit. Derrière le flou du massif traité en petites touches de couleurs apparaît une tête féminine coiffée d’un chapeau. Le temps de s’interroger sur la disparition du reste de son corps, sur les raisons qui expliquent la présence de cette tête à cet endroit (est-elle en train de faire un bouquet ?) et l’on découvre une silhouette sur la gauche du tableau, tronquée elle aussi, sans mains ni pieds, et qui nous tourne le dos. Ou peut-être avez-vous remarqué les jeunes filles dans l’autre sens ?
Il y a un certain humour dans cette espèce de partie de cache-cache. On est loin des toilettes élégantes minutieusement décrites de Femmes au jardin, et loin des natures mortes où chaque fleur est bien reconnaissable. Ici tout vibre, scintille, papillonne à en perdre… la tête, disons.
La modernité de cette oeuvre n’a pas échappé à un collectionneur éclairé : Ernest Hoschedé, qui en a été le premier acheteur en 1877. L’année suivante sa collection est vendue aux enchères. La toile est emportée par Chocquet pour 62 francs…
On sent la jubilation de Monet à peindre cette scène. Selon son beau-fils Jean-Pierre Hoschedé, le peintre aimait voir les robes blanches des jeunes filles de la maison évoluer dans les allées de Giverny : la façon de rendre les figures dans le paysage a été un de ses axes de recherche.
On connaît aussi le goût de Monet pour les plantes au faîte de l’été, quand les massifs débordent de fleurs. Cette tentation de se jeter dedans comme ces jeunes filles, de s’y fondre. Jusqu’à quel point pouvons-nous fusionner avec la nature, devenir fleur parmi les fleurs, pour reprendre une expression souvent entendue à Giverny ? Le lien entre l’homme et la nature n’a pas cessé d’inspirer le maître de l’impressionnisme sa vie durant. Peut-être même jusqu’au symbolisme des Nymphéas.
Jeunes filles dans un massif de dahlias, Claude Monet, 54×65.5 cm, 1875, Narodni Galerie v Praze, République tchèque
Nénuphars et imaginaire
Il faut bien le dire, à moins d’être l’heureux propriétaire d’une mare, dans la vie courante on ne rencontre pas des nénuphars tous les jours, si bien que l’idée qu’on s’en fait doit beaucoup à leurs représentations. Curieusement, autant il n’est pas si fréquent de voir des nénuphars en vrai et de près, autant ils figurent partout, surtout depuis que l’Art Nouveau en a fait l’une de ses plantes fétiches.
On peut bien se moquer de la façon dont les hommes du Moyen Age s’imaginaient les lions, les éléphants et les rhinocéros. Côté nénuphars, depuis nos premiers coloriages nous avons en tête que la fleur pousse au milieu de la feuille, joliment posée dessus.
Si c’est le cas, c’est le hasard, mais un hasard assez courant. Fleurs et feuilles sont indépendants au bout de leurs tiges respectives, à dériver mollement à la surface comme un bateau à l’ancre. Quand par hasard la fleur glisse dans l’encoche de la feuille de nénuphar, il lui est difficile d’en ressortir. Elle peut y passer toute sa vie de fleur. Bien épanouie, elle nous ravit par sa façon de répondre exactement à nos attentes, telle qu’on l’imagine.
La couleur des ponts japonais
Pont dans le jardin oriental du parc botanique de Haute-Bretagne
De quelle teinte sont les ponts en Extrême-Orient ? La couleur de celui de Monet ne cesse de faire débat, non seulement parce qu’il paraît plus bleuté sur les tableaux, mais aussi parce que, si c’était un vrai pont japonais, un pont vraiment japonais, il ne serait pas vert.
De quelle couleur serait-il alors ? Rouge, affirment certains. Et regardez comme c’est splendide, un pont rouge, et comme cette couleur complémentaire fait chanter les verts autour.
Mais voilà que j’ai des doutes. Des visiteurs de Giverny m’ont précisé que ce ne sont pas les ponts japonais qui sont rouges, mais les ponts chinois. J’en appelle à vous, chers amis globe-trotters, chers lecteurs de Chine, du Japon et d’ailleurs, merci de m’apporter vos lumières. Quelle est vraiment la vraie couleur des ponts authentiques de l’empire du Milieu et du pays du Soleil-Levant, et qui a influencé qui ?
C’est un débat, et ce n’en est pas un. Dans leur livre « Modes et tendances au jardin des années 60 à nos jours »*, Philippe Bonduel et Georges Lévêque analysent le goût pour le japonisme et l’exotisme extrême-oriental.
« Le jardin japonais est tellement pittoresque qu’il ne peut s’intégrer nulle part, sauf au Japon. Paradoxalement, c’est pourtant ce qui lui permet de figurer… partout, avec deux tendances principales : le faire figurer dans un jardin clos, (…) ou l’européaniser. »
Vouloir copier fidèlement le Japon, « ne serait-ce que pour des raisons purement climatiques, c’est de toute façon une mission impossible, l’Europe, à la différence du Japon, ne connaissant pas les moussons. »
Quoi qu’on fasse, beaucoup de plantes ne se plairont pas, il faudra adapter. Là encore, comme dans la restitution contemporaine de jardins du passé, c’est l’esprit qui importe, « le graphisme et les lumières comptent plus pour la vision purement paysagère souhaitée dans ce cas ».
Cette distance-là, c’était bien le goût de Monet. Dans ses créations horticoles et picturales, l’artiste s’inspire avec beaucoup de liberté des modèles japonais. En dépit des bambous, son jardin reste européen et même normand. Ses Meules qui adoptent les compositions données au mont Fuji par les artistes japonais, ne revendiquent rien du Japon. Elles restent des meules. Dans ce contexte, quelle importance peut avoir la couleur du pont ?
*Un régal, ce livre ! (éditions Ulmer) Les merveilleuses photos de Georges Lévêque illustrent magnifiquement le propos de Philippe Bonduel. On retrouve nombre de visions familières, par exemple pour le style années 60 « les massifs incrustés comme au scalpel dans un tapis vert sans défaut » ou encore « la supposée rocaille faite de vivaces perdues dans un éboulis de moellons ». On chemine à travers les tendances pastel et mixed-border, potager fleuri, vers le goût d’aujourd’hui pour la Prairie américaine et la conscience écologique. Que réservera demain ?
Visiter des jardins
Jardin botanique du château de Vauville, Manche
Je rentre d’un voyage d’une semaine en Basse-Normandie et en Bretagne, une semaine à visiter des jardins. Parce que pour mieux cerner l’unicité de celui de Monet j’ai aussi besoin d’en découvrir d’autres, créés à d’autres époques, avec des intentions différentes, où le végétal est mis en scène autrement ; parce que les jardins ne se visitent pas en hiver, et qu’année après année il devenait plus frustrant de passer toute la belle saison à travailler en continu sans aller admirer ce qui pousse ailleurs, je me suis offert le luxe d’une semaine de congé en été pour ce « voyage d’études ».
Il y a eu de la griserie, de l’émerveillement, de l’admiration pour la créativité humaine qui sous-tend ces jardins, pour les prouesses horticoles. De la déception aussi, parfois. Et partout, des parcs quasi vides de visiteurs, même dans les lieux les plus réputés.
C’est agréable, habituée comme je peux l’être à louvoyer entre les promeneurs dans les allées étroites de Giverny. Et en même temps, je ressens une profonde injustice. Pourquoi Giverny, et Giverny seulement ? C’est l’effet grand homme, l’effet nymphéas. Ailleurs, les jardins sont plus vastes, plus variés, plus époustouflants peut-être, mais ils n’ont pas été peints par le père de l’impressionnisme. Et tous, nous allons d’abord vers ce que nous connaissons, vers l’image déjà vue, dans un musée, un magazine, un reportage ou un livre d’enfants, une carte postale reçue ou une brochure publicitaire, voire un panneau sur l’autoroute.
Libre de faire mon choix parmi tous les jardins possibles dans ce coin de France, j’ai tendu l’oreille à ces désirs de visites nés il y a plusieurs décennies parfois. Aller voir des jardins, c’est aussi devenir visiteur de jardin, et en me glissant dans ce costume-là, en savourant le plaisir de la première fois, du vieux rêve qui se réalise, je comprends et partage ce que ressentent mes clients à Giverny.
Bruxelles, une capitale impressionniste
Les deux affiches présentées côte à côte par le musée des Impressionnismes Giverny résument bien les émotions qui attendent les visiteurs de la nouvelle exposition, « Bruxelles, une capitale impressionniste » à voir jusqu’au 2 novembre 2014 : de magnifiques paysages baignés d’une lumière vibrante et vaporeuse, des portraits qui vous happent et ne vous lâchent pas.
A gauche, c’est celui de la jeune Marguerite van Mons, regard perdu dans le vague, exécuté par Théo Van Rysselberghe en 1886. A droite, un détail de La levée des nasses d’Emile Claus (1893).
Pas moins de dix musées bruxellois ont prêté des oeuvres, dont le musée d’Ixelles, partenaire de l’exposition, et aussi ceux de Gand, Charleroi, Anvers… D’autres chefs-d’oeuvres belges viennent d’Espagne ou encore de Suisse pour ce rendez-vous à Giverny, où leurs retrouvailles célèbrent le bouillonnement culturel qui anime Bruxelles au temps de l’impressionnisme.
Dans cette découverte d’artistes peu familiers au public français, les Boulenger, Morren, Hagemans, Albert, Charlet, Ensor, Meunier, Stevens… on retrouve les thèmes et les techniques familières de l’impressionnisme, mais aussi des aspects jamais évoqués par Monet et ses amis. Et c’est particulièrement cette innovation d’avant-garde qui retient, séduit ou dérange.
Car les sujets choisis sont parfois douloureux ou dénonciateurs, deuil, condition ouvrière, condition paysanne, avec ces regards captés par les peintres qui ont traversé les décennies pour venir nous interpeller aujourd’hui. Ces gens morts depuis longtemps nous fixent avec tout le poids de leur vie dans leurs yeux, dans leurs épaules. Derrière l’image idyllique d’un monde de loisirs à la campagne véhiculée par les impressionnistes surgit comme une claque la réalité sociale du XIXe siècle. C’est comme si on lisait du Zola, et ça secoue.
Lotus et Nymphéas
Début avril, l’eau très claire du bassin de Monet permet d’observer la partie immergée des nénuphars. C’est l’époque où la plante se réveille après sa pause hivernale, à la faveur d’une eau moins froide.
Au bout de tiges d’une longueur variable, les feuilles apparaissent, traversent l’eau et viennent flotter à la surface. Telle est la particularité du nymphéa, il flotte, si bien qu’il s’adapte aux variations de la hauteur d’eau. Quand l’eau baisse, le nénuphar flotte plus loin de ses racines, comme une chèvre qui aurait droit à une longe plus grande autour du piquet. Quand l’eau monte, le nénuphar flotte droit au-dessus de ses racines.
La plupart des espèces de nymphéas ont des fleurs qui flottent, elles aussi. Mais certaines variétés se distinguent par leurs fleurs dressées au-dessus de l’eau, à la manière des lotus.
Claude Monet a bien failli avoir des lotus dans son bassin. A peine son étang creusé, le peintre a passé en 1894 une commande à Latour-Marliac, pépiniériste au Temple-sur-Lot, pour peupler son nouveau jardin de plantes aquatiques. Parmi celles-ci, on trouve cinq pieds de lotus et six de nénuphars.
Le lotus, de son nom botanique le Nelumbium, a une magnifique feuille vert clair toute ronde, connue pour repousser l’eau. La fleur est plus renflée que le nymphéa et renferme un genre de fruit en forme de pomme d’arrosoir, un classique des bouquets secs.
Monet était tenté par les lotus, mais il en a raté la culture. A-t-il suivi à la lettre les conseils prodigués par le pépiniériste ? Celui-ci lui écrivait avec la facture : »Les nelumbium peuvent très bien être cultivés en plein air dans le département de l’Eure, ainsi qu’il est dit dans le catalogue. Les rhizomes doivent être plantés horizontalement et à peine recouverts de vase dans le bassin destiné à les recevoir. Ils ne doivent pas être immergés à plus de 50 centimètres de profondeur. »
Selon le professionnel avec qui j’en ai parlé hier, les lotus requièrent au contraire 80 cm d’eau au minimum. On en restera donc aux Nymphéas, mais aux couleurs habituelles seulement, du blanc au rose et au jaune. Les bleus, des exotiques essayés aussi par Monet, sont impossible à réussir sous le climat de Giverny.
La poupée qui sent bon
Deux petites filles et leurs poupées se promènent dans les jardins de Claude Monet.
Au moment où je les croise, la plus grande qui a peut-être huit ans est en train de frotter le visage de sa poupée avec un brin de lavande.
– Comme ça, ça me fera un souvenir, dit-elle, aussitôt imitée par sa petite soeur.
Va-t-il pleuvoir dans l’Eure ?
Faut-il ou non prendre un parapluie ? Si vous devez sortir, un service internet de Météo France est capable de répondre à cette question avec une grande précision. Il s’appelle « Va-t-il pleuvoir dans l’heure ? » et définit pour chaque commune la nature et la quantité de précipitations pour les 60 prochaines minutes. On sait s’il va pleuvoir, quand, et combien.
Quand on a goûté à ces performances d’exactitude, il est difficile de s’accommoder des prévisions plus vagues qui concernent le temps pour la journée, surtout en cas de « rares averses », « averses éparses » ou « averses localisées », sans parler des « risques d’orages ». Ce côté p’têt ben qu’oui p’têt ben qu’non a quelque chose d’exaspérant même en Normandie, où pourtant l’on est champion de la réponse de Normand, paraît-il. Pluie ou pas pluie, le problème est le poids du parapluie. Que pariera-t-on ?
Cette semaine, il a fait bien chaud dans l’Eure. Je marchais dans les jardins de Monet en me demandant si le temps allait se dégrader quand j’ai remarqué le chuchotis de l’arrosage automatique. J’en ai conclu avec optimisme que les jardiniers pariaient sur le maintien du beau temps. Je présumais qu’ils avaient des sources météorologiques plus précises que les miennes.
Pas si sûr. En fait, m’a expliqué l’un des jardiniers, à Giverny, quand on n’est pas absolument sûr qu’il va pleuvoir, on préfère arroser quand même. Une plante qui a soif est stressée, et certaines mettent quinze jours à s’en remettre. C’est de l’arrosage préventif.
Merveille de l’automatisme qui permet d’arroser sans effort ! Les fleurs de Monet, si bien chouchoutées, restent zen quel que soit le temps. Quand l’arrosage demande du temps et de la peine, l’arroseur est plus enclin au pile ou face.
Photo : système d’arrosage automatique à Giverny
Les souvenirs de Vollard
Autant le dire tout de suite, on ne trouve pas grand chose sur Claude Monet dans les savoureux « Souvenirs d’un marchand de tableaux » d’Ambroise Vollard. Le livre regorge de détails sur le métier tel qu’il se pratiquait à l’époque, raconté sous forme d’anecdotes légères qui dénotent un naturel d’une incroyable bonhomie. Vollard a été proche de Cézanne, de Renoir, et de beaucoup d’autres, et en ce qui concerne ces peintres, il livre des impressions de première main.
Vollard n’était pas le marchand de Monet, un rôle plutôt tenu par son voisin de la rue Laffitte Paul Durand-Ruel. Il a toutefois connu Monet :
Le premier jour de mon exposition Cézanne, je vis entrer un homme barbu, de forte corpulence, qui avait tout à fait l’air d’un gentleman farmer. Sans marchander, mon acheteur pris trois toiles. Je pensai que j’avais affaire à quelque collectionneur de province. C’était Claude Monet. Je devais le revoir plus tard, lors de ses passages à Paris. Ce qui frappait, chez un peintre aussi célèbre, c’était son extrême simplicité et la fervente admiration qu’il témoignait à son vieux camarade des temps héroïques de l’impressionnisme, à Cézanne, encore si méconnu.
Vollard a même rendu visite à Monet à Giverny. Combien de fois ? Une seule sans doute, car ses souvenirs sont imprécis :
La maison était grande, mais les murs disparaissaient sous les toiles des camarades de l’artiste. Comme j’observais que, des tableaux d’une qualité si rare, on n’en voyait pas souvent de pareils chez les amateurs les plus réputés :
– Et pourtant, me répondit Monet, je ne prends que ce que l’on veut bien me laisser ! La plupart des toiles que vous voyez là trainaient à l’étalage des marchands. En quelque sorte, je les ai achetées pour protester contre l’indifférence du public. »
L’attitude du maître à l’égard de ses camarades a frappé son visiteur, au point de lui faire voir des tableaux d’autres artistes partout. Or ils étaient consignés dans la chambre de Monet. Ailleurs, on voyait surtout des estampes japonaises… que Vollard a zappées.
Un autre souvenir omis par Vollard, c’est Monet levant les bras et s’écriant à son arrivée : « Au voleur ! au voleur ! » Pas très aimable comme accueil, mais caractéristique de la tension qui pouvait régner entre un artiste et les marchands d’art. Je crois que c’est Jean-Pierre Hoschedé qui rapporte ce trait.
Présences
Dans ce métier fait de rencontres, on ne sait jamais à quelles émotions s’attendre. Chaque visiteur vient avec tout ce qu’il est et reçoit à sa façon le lieu. Giverny est un lieu fort, assez puissant pour avoir su autrefois stabiliser un Monet jusqu’alors nomade et pour aujourd’hui attirer comme un aimant des visiteurs de toute la planète.
Je ne crois pas que ce soit Giverny en tant que tel qui soit à l’origine de ce magnétisme, mais plutôt l’alliance entre Monet et le lieu, tout comme l’alliance entre deux êtres qui se sont bien trouvés peut être puissante et féconde.
Cette force-là rend humble. Face à l’attraction exercée par le bassin aux Nymphéas, le guide est peu de chose. Un petit catalyseur peut-être.
Chacun arrive avec tout ce qu’il est, ses souvenirs et ses rêves, et ce désir de venir à Giverny souvent très ancien. Quand l’émotion déferle, elle me touche moi aussi, pour ma plus grande joie.
Il y a quelques jours je venais de parler des séries de Monet, notamment celle de la cathédrale de Rouen, quand cette évocation a rappelé à ma cliente un souvenir d’enfance. La directrice de son école religieuse avait emmené les élèves voir une exposition de ces Cathédrales, dans l’espoir de faire partager son admiration pour Monet aux écolières. Enthousiasme de la directrice, indifférence des petites… Un souvenir qui paraît drôle à ma cliente avec le recul, surtout quand elle essaie de transmettre ses émerveillements à ses petits-enfants pas forcément conquis. « Je garde d’excellents souvenirs de cette école », conclut-elle avec un sourire rayonnant.
A cet instant, il se passe quelque chose d’étonnant. Je sens sa joie entrer en moi, un frisson de chair de poule me parcourt, et je lui dis en souriant : « Cette dame est là avec nous, elle est très heureuse que vous soyez venue ». Ma cliente remarque qu’elle aussi a la chair de poule. C’est une expérience que nous ne sommes pas près d’oublier toutes les deux, je parie.
J’hésitais à en parler ici, et sans doute je ne l’aurais pas fait, quand quelques jours plus tard une histoire un peu semblable s’est reproduite, m’incitant à partager. Deux soeurs en larmes sur le pont japonais. « Maman aimait tellement Monet ! Elle aurait tellement aimé être ici ! » Elle était avec nous, bien sûr.
Astilbes et reflets d’astilbes dans le bassin de Monet
Alice et Claude
Voilà déjà cinq fois que Philippe Piguet vient donner lecture des lettres de son arrière-grand-mère Alice Monet à sa grand-mère Germaine Salerou. La lecture se passe à Giverny dans le salon-atelier de Monet, où des chaises sont installées après la fermeture, et c'est un moment rare.
Philippe Piguet est historien de l'art. Il a réuni environ 800 lettres familiales dont il prépare la publication. 640 pages dactylographiées concernent la vie de Monet, et le plus difficile, le plus douloureux est de faire des coupes pour que l'ouvrage ne devienne pas un énorme pavé. Le titre envisagé est "Monet au quotidien".
Les lettres déjà publiées par Philippe Piguet dans son "Monet à Venise" et ses lectures donnent une idée de la richesse de cette correspondance, qui fourmille de détails de première main, en particulier sur le moral fluctuent de Monet.
Tantôt Monet s'enthousiasme, et déclare que son jardin est "bien plus beau à peindre que tous les Vétheuil". Tantôt il doute, "il ne s'en prend qu'à lui-même, à sa vieillesse, à son impuissance." (C'est Alice qui souligne). Les mots d'anxiété, d'abattement, de découragement, de tristesse reviennent en leitmotiv dans les lettres d'Alice pendant de longue semaines, à son grand désespoir.
Ce n'est pas seulement le fait de devoir composer avec les périodes dépressives de son mari qu'elle trouve désespérant. C'est aussi parce que dans ces moments-là Monet ne travaille pas. Il ne produit rien. Il lui arrive même de détruire des toiles, lacérées à coups de couteau et jetées au feu.
Or Alice, elle, ne doute pas. Elle sait que Monet a du génie. Elle n'est heureuse que lorsqu'il peint. Selon son arrière-petit-fils, "Alice a convaincu Monet qu'il était dans l'Histoire. Elle a contribué à faire de lui le grand peintre qu'il est." Et à mesure qu'ils avancent tous deux en âge, elle a le sentiment aigu que le temps est compté. Elle trouve malheureux de voir passer les jours et les semaines sans que Monet ne se saisisse de sa palette.
Son intuition est juste, surtout en ce qui la concerne. Quand elle s'éteint en 1911, il reste à Monet quinze ans à vivre, qu'il emploiera à son chef-d'oeuvre absolu, les Grandes Décorations. Alice ne soupçonnait pas l'apothéose à venir, les Nymphéas de l'Orangerie. Selon Philippe Piguet, "ce qui fait la dimension universelle de Monet, ce n'est pas "Impression, soleil levant", ce sont les Nymphéas".
Podophyllum
C’est la première fois que je vois cette curieuse plante dans le jardin d’ombre de Monet. Chaque année quelques nouveautés font leur apparition, pour intriguer les jardiniers les plus chevronnés qui viennent visiter Giverny.
Cette vivace porte le nom botanique de podophyllum, ce qui est assez transparent : une feuille en forme de pied, ou plutôt d’empreinte de pied… et déjà j’imagine les dinosaures en train de marcher pesamment à travers le jardin.
J’ai eu plus de mal avec le nom de la variété, spotty dotty, un nom qui met invariablement un sourire sur le visage des visiteurs anglophones. Spotty, à pois. Dot, c’est le point. A pois et à points ? La redondance n’est pas si drôle que ça.
Le dico livre un autre sens. Dotty veut dire zinzin, c’est quelqu’un qui a un grain. Soit podophyllum zinzin à pois, plutôt rigolo comme nom.
J’en étais là quand cette semaine j’ai revu Dorothy, une photographe habituée des jardins de Giverny où elle aime faire des gros plans de fleurs. Dorothy est Dottie pour les intimes.
Le podophyllum est supposé faire des fleurs blanches cireuses cachées sous les feuilles, et cela devrait être pour maintenant ou en juillet. Espérons que celui-ci se montre coopératif. Les Dorothy ont bien droit à un petit bouquet…
Expo Caillebotte à Yerres
Hier j’étais à Yerres, et c’était bon d’être ailleurs. Jusqu’au 20 juillet, on peut voir dans cette ville du sud-est de Paris une exposition consacrée à Gustave Caillebotte, peintre impressionniste et proche ami de Claude Monet.
La famille Caillebotte possédait à Yerres une belle résidence entourée d’un vaste parc, que le jeune peintre a prise pour modèle à de nombreuses reprises. C’est dans cette propriété même que l’expo est présentée, dans un rapprochement grisant.
Comme à Giverny, on déambule dans le motif resté intact. On marche le long de la rivière où les périssoires glissaient, et l’eau a toujours exactement la couleur verte qu’elle a sur les tableaux. Les massifs, les pelouses, les bâtiments sont toujours là, les orangers poussent dans les mêmes bacs, les mêmes chaises de jardin invitent au repos, si bien que la réalité et la peinture, le passé et le présent se percutent. Jusqu’au potager si bien entretenu qu’on le dirait arrosé de la veille par les jardiniers des Caillebotte.
L’expo, même si elle ne propose que 43 oeuvres, parmi lesquelles bon nombre de petits formats, est tout de même un enchantement. Parce que Caillebotte a l’art de nous conter les plaisirs du bord de l’eau : canotage, pêche à la ligne, plongeon…, dans des toiles où souffle la chaleur de l’été et la fraîcheur de l’eau. Parce qu’il est d’une audace incroyable dans ses angles de vue, ses cadrages, qui bouscule et séduit. Et parce qu’à l’imaginer en train de peindre, en train d’élaborer ces toiles si innovantes, où l’humour n’est pas absent, on croit percevoir de la bonté chez lui, de l’humanité, de l’empathie pour les personnes qu’il figure. Quel dommage que la mort l’ait privé d’une longue carrière en l’emportant à 45 ans. Mais Caillebotte sentait qu’il mourrait jeune, lui qui a rédigé son testament à 28 ans…
La valeur du bien
Voilà déjà plusieurs fois que je guide des Chinois. En anglais, avec ou sans interprète.
Qu’est-ce qu’il faut dire ou ne pas dire à des Chinois ? Je tâtonne. Je sens que mon discours si bien formaté pour les visiteurs occidentaux a besoin d’une remise en cause, mais dans quelle direction ? Quelles informations ont-ils envie d’entendre ? Et qu’est-ce qui va vite les ennuyer ? Quels présupposés culturels ont besoin d’être explicités ? Quels détails de la vie quotidienne vont retenir leur attention ?
Cet après-midi mon groupe était d’excellente humeur, avec une forte envie de rigoler. La visite était détendue. Tout-à-coup, tout à trac, fuse une question :
– Combien vaut cette maison ?
Nous nous trouvions devant une bâtisse bourgeoise qui pouvait faire 200 m2.
– A la louche, 400 000 euros, dis-je pour répondre quelque chose.
Ce renseignement génère une vive animation dans le groupe. Les entendre échanger des plaisanteries en chinois pique ma curiosité.
– Vous trouvez ça cher ou bon marché ?
– Très bon marché ! s’exclame l’un d’eux en riant aux éclats. On va l’acheter !
– Mais elle n’est pas à vendre ! dis-je un peu paniquée. C’est à ce moment que j’ai appris que plusieurs d’entre eux venaient de Hong-Kong.
On le sait, on l’a déjà entendu, que les prix sont chers à Hong Kong, parmi les plus chers du monde. Mais on le sait sans savoir ce que cher veut dire. Veut dire vraiment dans la vie des gens.
– Avec 400 000 euros, à Hong Kong, vous vous achetez deux places de parking, continue le monsieur. Deux places et demi si vous avez bien négocié ! dit-il en se marrant. Ma fille vient de faire l’acquisition d’un emplacement pour garer sa voiture au 16e étage d’un immeuble-parking. Elle l’a payé 190 000 euros. «
J’aurais bien aimé lui demander où les gens trouvaient tout cet argent, et comment faisaient ceux qui n’en avait pas (assez). Mais cela m’a paru indiscret, et puis c’est moi qui suis là pour répondre à leurs questions, et non eux aux miennes.
Je leur parle avec candeur de la France, et voilà que nos expériences respectives de la vie se percutent.
Sur le chemin du retour j’ai repensé à ce vent de panique qui m’a saisie quand mes gentils Chinois ont fait mine de vouloir acheter la maison. « Mon » patrimoine. Seule face à 44 personnes, cette impression qu’ils n’allaient faire qu’une bouchée de tout, avec leur pouvoir d’achat de millionnaires. « Me » croquer. J’ai repensé à ma piètre réponse : « elle n’est pas à vendre ! » Jusqu’à quelle somme les propriétaires résisteraient-ils ?
En roulant dans la belle campagne du val de Seine, j’ai revu tous ces lieux avec un oeil neuf, un peu bridé. Quel pays de cocagne ! La moindre petite maison fait rêver quand on doit se contenter d’un minuscule appartement. Quel privilège d’avoir de l’immobilier encore accessible, et cette nature si paisible tout autour ! Que réservent les siècles qui viennent ?
Sur le chemin du retour, j’ai pensé à la montée en puissance des pays émergents, de la Chine, et je me suis interrogée sur la façon dont l’avenir va redistribuer les cartes des richesses du globe. Et j’ai pensé à notre attitude d’occidentaux en tant que touristes dans le tiers-monde, en tant que colonisateurs autrefois. Ce n’est pas toujours aux mêmes de se sentir les maîtres du monde.
La becquée du pinson
Cette fois-ci, c’est le papa pinson qui est allé au ravitaillement dans le jardin de Monet.
Pincé dans son bec, l’insecte ailé qu’il a attrapé lui donne un vague air d’indien peau-rouge.
Justement, perché sur la glycine du pont japonais, le pinson déploie des ruses de Sioux pour ne pas dévoiler où il a caché le nid.
Il volète, un coup en haut, puis en bas, il regarde tout autour de lui…
Quel temps il passe pour s’assurer que la voie est libre !
Cela paraît un peu excessif au regard des piaillements des petits quand papa revient des courses.
S’il n’avait pas le bec occupé, il leur sifflerait sûrement de se taire.
Ce billet est dédié à tous les valeureux papas, en particulier ceux qui sont venus en famille à Giverny aujourd’hui et qui ont déployé des ruses toutes paternelles pour la bonne marche de la visite avec leurs tout petits. Bonne fête !
Ose, dit la rose
Dans rose il y a ose,
et c’est peut-être ce qui donne à la reine des fleurs une telle audace.
Celle de grimper à la cime des arbres,
celle de multiplier les pétales palpitants dans l’opulence de l’été.
La palette non plus ne lui fait pas peur.
Elle s’enneige,
elle s’encarmine,
elle s’enflamme.
Elle a des pâleurs de jeune fille languissante
ou arbore la pourpre cardinalice.
Elle s’enveloppe des parfums les moins discrets
qu’elle porte avec panache.
Elle aime s’entourer d’admirateurs qu’elle exige platoniques
à coups de griffes.
Qu’un serpent s’insinue en son coeur,
et la rose devient rosse.
Rosier liane
Juin est le mois des roses dans toute leur opulence et leur démesure.
Les rosiers liane qui ne fleurissent qu’une fois dans l’année se révèlent brusquement, eux qu’on avait un peu oubliés dans leurs arbres.
A Giverny, la roseraie de l’hôtel Baudy s’en est fait une spécialité. On en voit aussi chez Monet. Mais mes préférés restent ceux du parking du musée.
Dans plusieurs des arbres qui ombragent les voitures, Bobbie James s’est installé en conquérant, au point de faire croire qu’il est l’arbre lui-même.
Son parfum délicat et son abondante floraison poétisent la traversée de cet espace où l’on sort de son véhicule et où l’on s’avance vers les merveilles de Giverny.
Vous avez envie de cet effet-là chez vous ? Le rosier grimpant Bobbie James jouit d’une bonne réputation de facilité de culture, et c’est un classique qu’on trouve sans difficulté. Bon jardinage !
Les fleurs messicoles
La prairie fleurie du musée des impressionnismes Giverny chatoie de la floraison des plantes messicoles. Sur le vert de la toile de fond percent les rouges vermillon des coquelicots, les bleus des bleuets, le rose des nielles, pour ne citer qu’eux. Dans l’Eure, on a listé 97 espèces de messicoles différentes dont les noms rivalisent de poésie, de l’Adonis d’été à la pensée sauvage.
Les fleurs messicoles sont celles qui accompagnent les moissons. Elles aiment les terres labourées et se reproduisent par leurs graines chaque année. Elles sont différentes des fleurs qui poussent dans les prairies à vaches ou sur les pelouses des coteaux calcaires, où les vivaces dominent. Quand la terre n’est pas travaillée, les plantes qui restent en place toute l’année se développent au détriment des annuelles.
Depuis quelques années, la conscience de la valeur des fleurs sauvages augmente. On a compris qu’elles sont pile adaptées au climat, et en interaction étroite avec les insectes depuis des millénaires : à chaque région sa flore et ses petites bêtes.
Au musée des impressionnismes, le chef-jardinier va herboriser dans les champs pour récolter des graines. Et chaque automne, il retourne la terre de sa prairie.
Le conseil général de l’Eure se préoccupe de la protection des fleurs des champs ; il a même développé un plan d’actions départemental en leur faveur, soutenu par l’Europe. Dans son petit livre en ligne sur les plantes messicoles, il propose des pistes pour les sauvegarder et met en garde contre l’utilisation de mélanges tout faits de fleurs des champs vendus dans le commerce, qui entraînent par croisement la pollution génétique des plantes locales.
Le plan prévoit de créer une banque de graines sauvages locales pour semer des jachères fleuries, de préserver les messicoles là où il en reste, de les étudier pour mieux les connaître. Tous les promeneurs sont invités à partir « à la recherche du bleuet perdu ». Si on repère un bleuet sauvage sur un talus, on le prend en photo et on l’envoie au pôle environnement du Département de l’Eure. Voilà une quête charmante pour les esprits un peu fleur bleue…
Clochemerle-sur-Epte
Je me demandais si ce jour finirait par arriver. Cette fois l’info a l’air d’être sérieuse : elle fait la une du Démocrate, le journal local. Enfin enfin ça y est, les toilettes publiques de Giverny vont ouvrir. La date est fixée au premier juin, soit dimanche prochain.
Cela paraît inconcevable et pourtant c’est vrai : Giverny, qui reçoit un demi-million de visiteurs par an au bas mot, aura dû attendre juin 2014 pour avoir enfin des toilettes pour les touristes.
Je ne sais pas ce qui a été le plus insupportable, le plus exaspérant dans cette longue attente, des décennies nécessaires avant de les voir construites, ou des 11 mois supplémentaires où les WC tout neufs sont restés fermés. Si les édiles en charge du dossier étaient comme moi en contact direct avec le public, je pense que les choses auraient été plus vite.
Tous les jours, je me gare sur ce parking et tous les jours je vois des visiteurs de Giverny s’approcher de l’entrée des toilettes. Et là, ils constatent stupéfaits que la porte est fermée. Pensez-vous qu’ils prennent la chose avec philosophie ? Ils sont outrés, scandalisés. Ils me prennent à témoin. Me demandent où il faut aller chercher la clé. M’interrogent sur les raisons de cette fermeture. Soupirent de découragement en apprenant où se trouvent les toilettes les plus proches.
Tout a été compliqué dans cette affaire, et je ne prétends pas en avoir suivi tous les rebondissements. Appel d’offre infructueux, emplacement problématique… Le pire pourtant, qui explique le retard de l’ouverture, c’est qu’on n’a pas réussi à se mettre d’accord d’avance sur la répartition des frais d’entretien entre la mairie de Giverny et les deux musées. L’agglo, qui a la compétence tourisme, a botté en touche. Une maison du tourisme, oui, l’eau des toilettes publiques, non.
A partir de dimanche, donc, notre vie va changer. Les groupes qui arrivent après un long trajet de bus pourront profiter des commodités avant leur visite, ce qui leur évitera la pause pipi chez Monet et leur fera gagner beaucoup de temps. Les cafés de Giverny ne verront plus les leurs prises d’assaut. Les messieurs ne se retourneront plus en se reboutonnant, après un instant de méditation face aux haies du parking. Les petits enfants n’auront plus à s’accroupir entre les voitures. La civilisation va étendre son aile jusqu’en ce coin reculé des confins de la région parisienne et de la Normandie. C’est beau. C’est le 21e siècle.
Un coup sur la tête
Cette photo n’est PAS prise dans les jardins de Monet, mais, une fois n’est pas coutume, dans le mien.
J’ai un peu de mal à me faire à l’idée, mais le doute n’est plus permis, tout est très bien expliqué là : il pousse de la ciguë dans mon jardin.
Ca fait bizarre de voir de près cette plante mythique. L’empoisonneuse de Socrate. Toute cette aura mortelle qui l’entoure confrontée à sa banalité, à son apparence tellement commune et inoffensive.
C’est une jeune maman qui m’en a parlé. Elle s’inquiète beaucoup parce que, dit-elle, « il y en a partout ». Allons allons, ai-je pensé, elle exagère, elle craint pour sa petite c’est normal, mais de là à faire une fixation sur la ciguë… Je ne pensais pas en avoir déjà rencontré. Tout de même, je suis allée voir à quoi cette plante ressemble. Et là, d’un seul coup elle avait l’air un peu trop familier.
Ce n’est pas qu’elle m’impressionne plus que les autres, puisque chaque jardin abrite son lot de plantes toxiques, du muguet à la digitale. C’est plutôt de l’avoir ignorée jusqu’ici. Le danger s’était glissé insidieusement le long de la haie, et je ne l’avais pas vu venir et s’installer.
Non, je ne vais pas arracher la ciguë. Je crois à la biodiversité et à la démocratie. Elle peut rester à pousser, là-bas tout au fond du jardin, et servir de plante hôte aux punaises. Mais quand même, en avoir dans mon jardin, ça m’a fait un coup sur la tête. Un peu comme le résultat des élections européennes de ce soir.
Cathédrale, nuit
J’ai profité de la Nuit des musées samedi dernier pour aller visiter l’exposition « Cathédrales » à Rouen, ouverte exceptionnellement jusqu’à 23h.
L’expo révèle la fascination qu’a exercée l’architecture gothique à travers les siècles, et qui perdure encore.
Le plus étonnant, c’est peut-être de découvrir au milieu d’une collection de tableaux et de photos la salle consacrée aux arts décoratifs. « La manie du gothique » selon le mot de Michelet sévit dès le début du 19e siècle et se déploie sur les sièges, les verres, les pendules, la porcelaine ou les bijoux. Le style dit « à la cathédrale » règne en même temps que Charles X, avec son lot d’ogives et de pinacles.
Le plus décevant pour moi, c’est sans doute l’absence d’oeuvres de Goethe… à part le moulage d’un graffiti de sa main sur les pierres de la cathédrale de Strasbourg, mais peut-on parler d’oeuvre ? Vu du 21e siècle, ne serait-ce pas plutôt du vandalisme ? Goethe est portraituré, son importance dans le retour en grâce des cathédrales est expliquée, mais pas le moindre petit dessin, alors qu’on en voit plusieurs de Victor Hugo.
Après la visite, un détour par la cathédrale, la vraie, s’imposait, pour aller la saluer dans son habit de lumière. Celui-ci n’était probablement pas aussi beau du temps de Monet. En tout cas, si le peintre l’a représentée 28 fois de face à toutes les heures du jour, il ne l’a jamais peinte la nuit.
Le début des nénuphars
Voilà une semaine que les premiers nymphéas ont éclos à Giverny, le 9 ou le 10 mai. Le 8 il n’y en avait aucun, le 11 ils étaient une demi-douzaine.
Ce sont toujours les blancs qui ouvrent la danse, entre l’embarcadère et le petit pont. Des petits nénuphars tout simples annonciateurs de la belle saison. Les roses et les jaunes suivront.
Le début des nymphéas marque la fin de la glycine, cette féerie mauve qui enguirlande le pont de grappes souples bercées par le vent.
Les pétales des glycines tombent à la surface et viennent se mêler aux nénuphars pour une rencontre éphémère, ils s’accrochent aux feuilles comme s’ils avaient des choses à se dire.
La magie de l’étang a commencé, ce magnétisme qui happe le regard pour ne plus le lâcher, qui absorbe le spectateur, engloutit son attention, et l’entraîne dans un monde aquatique de réel et de faux-semblant, de présence et d’illusion, d’attente et d’adieu.
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