Silphium

SilphiumVoici la vivace la plus gigantesque du jardin de Monet à Giverny : le silphium, une plante vigoureuse à la tige carrée qui culmine à un bon 3 mètres.
A partir de juillet, tout là haut là haut, on aperçoit ses fleurs jaunes en forme de marguerites qui composent un abondant bouquet. Il faudrait être Gargantua pour en profiter. Nous autres pauvres petits humains, on a les yeux dans les feuilles, épaisses, rêches et costaudes. Elles sont disposées deux par deux de chaque côté de la tige et soudées par leur base, ce qui donne l’illusion que la tige puissante les traverse, d’où le nom de silphium perfoliata.
Cette plante, c’est du solide, elle est capable de résister à tout grâce à ses racines très profondes. C’est un peu comme un arbre qui repousserait chaque année. On en prend pour cinquante ans : de quoi la faire élire par les jardiniers paresseux.
Cette vivace est originaire d’Amérique du Nord, appréciée au Québec, et c’est un bonheur de lire sur les forums de nos amis canadiens des formules telles que « j’ai semé des graines l’an dernier, et cette année elle est rendue à six pieds ! »
Le silphium appartient à la famille des asteracées, des fleurs composées avec un coeur et des pétales qui figurent des rayons de soleil. C’est le grand Linné qui lui a donné son nom, à une époque où on refilait volontiers au dernier-né le prénom d’un aîné décédé. Notre silphium porte le patronyme d’une plante de l’Antiquité disparue depuis 2000 ans.

Le seul point commun, ce serait la couleur. Le silphium antique fleurissait jaune lui aussi. Toute ressemblance s’arrête là.
Le silphium antique était une ombellifère qui avait un peu l’aspect du fenouil. Il poussait dans la région de Cyrène, dans l’actuelle Libye. (Cyrène, ville d’origine de Simon qui a porté la croix du Christ.) Les ruines grecques encore très impressionnantes témoignent de l’importance de ce comptoir grec sur la rive africaine de la Méditerranée.
Le silphium antique fait partie de ces plantes qui ont une histoire incroyable. C’était une vraie star, il était tellement recherché qu’on le vendait à un prix hallucinant, son poids en argent. Il a fait la fortune de la cyrénaïque. La monnaie locale portait le dessin de cette plante.
Malheureusement le silphium ne se laissait pas cultiver. C’est probablement la surexploitation de la plante sauvage qui a conduit à son extinction rapide.
Quel était donc le secret du silphium ? Il avait un usage condimentaire et médicinal, comme beaucoup d’autres plantes. Mais l’une de ses applications thérapeutiques me paraît expliquer mieux que les autres l’engouement dont il a fait l’objet. Le silphium avait des vertus contraceptives et abortives. Il était recherché comme « pillule » et « pillule du lendemain ».

Anges musiciens

Anges musiciens, Vernon La collégiale de Vernon a conservé quelques rares vitraux de la fin du 15e siècle. Ces anges musiciens sont, c’est logique, situés tout en haut d’une verrière, dans son remplage flamboyant. Autant dire qu’on ne voit pas grand chose à l’oeil nu. Mais le téléobjectif révèle la richesse des détails.
Pour avoir des explications sur des vitraux, un ouvrage fait référence : le corpus vitrearum. Ce n’est pas tous les jours qu’un livre a un titre en latin, signe de son universalité. Il s’agit du recensement scientifique de toutes les verrières anciennes de notre région. Le sous-titre de cette somme est « Les vitraux de Haute-Normandie ». (Monum, éditions du Patrimoine).
La notice concernant cette verrière précise que les ajours du tympan comptent onze anges musiciens, deux séraphins et deux chérubins. Elle a été peu restaurée, à l’exception de l’ange du sommet et des chérubins, qui sont l’oeuvre de l’atelier ébroïcien Duhamel-Marette en 1882. Je suppose qu’il s’agit des trois ci-dessous, même si les ailes des chérubins sont théoriquement bleues.
Sur l’ange de gauche, on voit de nombreux plombs de casse, signes qu’une nouvelle restauration serait nécessaire. Aujourd’hui on utilise des colles plutôt que des plombs, ce qui permet de conserver la lisibilité de l’image.
Les séraphins sont faciles à reconnaître : ils ont trois paires d’ailes rouges.
Parmi les instruments pratiqués par les anges, je crois reconnaître à droite un luth, une harpe, à gauche une viole et un orgue portatif, au milieu droite un biniou, tout en haut des cymbales. Si vous identifiez les autres, merci de me renseigner. Anges musiciens, église Notre-Dame de Vernon

Journées du Patrimoine

Reflets à Giverny

L’info ne vous aura pas échappé, ce sont les Journées du Patrimoine ce week-end.
A Giverny, L’accès est gratuit au musée des Impressionnismes. C’est l’occasion de voir la magnifique expo de dessins impressionnistes qui nous vient de Washington.
La Fondation Monet accorde à tous un tarif réduit, 5 euros l’entrée.
Il fait un temps superbe, le jardin est splendide, les visiteurs vont se régaler.
Si vous avez décidé de venir aujourd’hui, attendez-vous à ne pas être les seuls.

Baby blue


C’est un bambin d’environ deux ans qui arrive dans le jardin d’eau de Monet.
En apercevant le ruisseau qui coule au pied des bambous, bébé s’enthousiasme :

– La mer !

Graines

Graines d'asclepiaEn fin d’été arrive la saison des graines. Les fleurs fatiguées de faire les belles pour les insectes pensent à l’avenir. Les voilà tout à coup métamorphosées en semences, équipées des dernières avancées technologiques des mutations, prêtes à s’élancer dans l’univers à la conquête de nouvelles terres.
Les graines de l’asclépia, ci-contre, s’ornent d’un énorme panache blanc pour mieux se laisser emporter par le vent. Grâce à cette houpette soyeuse, leur volume se voit considérablement multiplié, mais non leur poids. C’est juste ce qu’il faut pour jouer dans les bourrasques avant de finir par toucher le sol ailleurs, en espérant qu’il soit fertile.
Certaines plantes ont des graines si jolies, si graphiques, qu’elles constituent l’un de leurs principaux attraits. C’est le cas de la monnaie du pape, ou lunaire, une fleur de la famille des crucifères qui fleurit mauve au printemps. Elle nous est plus familière à maturité. Les graines de la monnaie du pape, plates, rondes et aux reflets argentés, lui ont valu son nom. On adorait autrefois en faire des bouquets secs, mais je crois que la mode en est un peu passée, aujourd’hui où tant de personnes sont allergiques à la poussière.
Au printemps dernier, alors que la lunaire fleurissait et que j’évoquais son avenir proche, sa gloire passée, son discrédit présent qui la rend rare dans les catalogues, et mon souhait de la cultiver pour sa beauté printanière, une de mes clientes m’a dit qu’elle en avait dans son jardin. Elle a promis de m’en envoyer des graines, la saison venue.
C’était une promesse charmante, et j’ai été touchée de cette gentille pensée. Le genre de promesses dont on sait qu’elles vont s’envoler au vent d’ici là, à peine le portail franchi. Soi-même, très vite, on n’y pense plus.
Cette semaine, j’ai reçu, intriguée, une enveloppe matelassée à l’en-tête d’une banque. Elle contenait un sachet de graines accompagné d’une jolie carte. C’était ma cliente de juin, banquière, qui m’envoyait les graines promises. Des graines de monnaie du pape, prêtes à pousser et fructifier dans mon jardin.
L’image était plaisante, mais je ne l’ai pas vue tout de suite. J’étais bien trop émue de recevoir ce cadeau. Il a ensoleillé ma journée.
Je vais semer les graines dans une bordure et en guettant leurs progrès, je sais que je penserai à la banquière qui a joué le rôle du vent. J’espère que le récit de son joli geste ici fera comme les graines de fin d’été, qu’il s’envolera pour aller pousser en terrain fertile. De mon côté j’ai décidé qu’aujourd’hui moi aussi, j’allais faire plaisir à quelqu’un, comme ça, gratuitement. Et ce n’est pas une promesse en l’air.

Giverny à New York

 Photo by Talisman Brolin Photo Talisman Brolin : recréation de la grande allée de Monet au New York Botanical Garden

A priori, le Bronx n’est pas le quartier de New York qui figure en tête des incontournables pour qui visite la mégapole américaine. Mais si je pouvais faire un saut outre-Atlantique, je suis sûre que je commencerais par là. Le jardin de Claude Monet a été recréé cette année dans la grande serre du jardin botanique de New York, situé, vous l’aurez deviné, dans le Bronx.
Depuis le mois de mai, les médias se sont fait largement l’écho de l’évènement, y compris les médias français. Il y a de quoi, car l’équipe en charge du projet a travaillé trois ans pour le mettre en place. La serre a imposé sa forme allongée, c’est donc le grand axe du jardin de Giverny qui a été reproduit de la façade de la maison jusqu’au pont japonais.
Ce n’était sûrement pas une mince affaire de copier les structures, portail, arceaux, pont, persiennes… Mais donner une idée des plantations aussi était un challenge. 450 variétés de plantes ont été sélectionnées pour fleurir tout au long de la saison jusqu’au 21 octobre. Sur cette surface réduite, elles donnent une bonne idée de la palette des floraisons de Giverny, où quelque 4000 végétaux différents s’épanouissent.
Pour parfaire le projet, les organisateurs ont obtenu le prêt de deux tableaux (Le jardin aux Iris et Iris d’une collection particulière suisse), ainsi que de documents qui se trouvent d’ordinaire à Paris. Faute de place dans la serre, les nymphéas s’étalent dans un bassin à l’extérieur, en compagnie de lotus.
Oui, je sais, il n’y a pas de lotus à Giverny. Mais qui prétend que c’est Giverny ? Seuls les journalistes qui n’ont pas mis le pied en Normandie depuis longtemps utilisent le terme de copie conforme, et même de réplique.
De l’avis des New-Yorkais qui m’en ont parlé cette année, l’expo du jardin botanique est un hommage au maître de l’impressionnisme. Elle s’inspire de son jardin. « C’est très joli, mais ça n’a rien à voir avec ça », disent-ils en embrassant du regard l’étendue fleurie de Giverny.
Certains se souviennent de la perfection des fleurs, bêtes de serre jamais confrontées aux intempéries ou aux ravageurs, impeccables comme chez le fleuriste. Pourquoi avoir choisi une serre pour y figurer un jardin situé à une latitude similaire ? Mystère.
Au-delà de l’aspect factice de la repro, l’universalité de Monet se vérifie une fois de plus. Il fait bouger les foules partout dans le monde. Se réclamer de lui pour un évènement, c’est le succès garanti.
Surtout, ce qui me touche dans cette exposition, c’est sa francophilie manifeste. Ce projet n’aurait pas été possible il y a quelques années à peine, quand le beaujolais coulait dans les caniveaux et que les frites, les french fries, étaient débaptisées.
Enfin, j’admire l’enthousiasme américain. Sûrs que le public sera au rendez-vous, les organisateurs ont prévu quantité d’animations autour du thème de l’expo du Botanical Garden. C’est comme une année Monet à New York.
Ils y croient, à leur idée. C’est impressionnant, toute cette énergie prête à déplacer des montagnes. Qui lancerait un projet équivalent en France ? Et qui le financerait ? L’enthousiasme des New Yorkais est tel qu’ils n’ont pas hésité à mettre les entrées à la serre à 20 ou 25 dollars.
A titre de comparaison, l’entrée au vrai Giverny est à 9 euros cette année. Et déjà, on trouve ça cher.

Démeulonner

W1247Claude Monet, huile sur toile 1890 Prairie à Giverny, Fukushima Prefectural Museum of Art, Japon

Ce paysage de Giverny peint par Claude Monet au printemps 1890 est l’un des chefs-d’oeuvre du musée de Fukushima, au Japon. Le monde entier, hélas, a appris le nom de cette préfecture japonaise ; pour une fois, plutôt que de le faire rimer avec une catastrophe majeure, associons-le avec celui de Monet.
Au beau milieu de la toile, en plein dans les verts et les bleus, une tache brune, presque orange, accroche le regard. C’est une meule.
Jusque-là, on ne peut pas beaucoup se tromper. Mais s’agit-il d’une meule de foin ou d’une meule de blé ? Je penche pour la première : on est dans une prairie, ce doit être de l’herbe coupée, séchée et mise en tas. Juin peut-être.
En juin, il était bien trop tard pour démeulonner. C’est l’une de mes collègues, née dans une ferme de Haute-Normandie, qui m’a appris ce joli mot qu’elle a retenu comme un souvenir d’enfance. Démeulonner, c’est défaire la meule pour passer les gerbes de blé au tarare afin d’en extraire les grains, dans des nuages de poussière.
Remontons le calendrier agricole. Avant de démeulonner, il faut meulonner. Le temps de la moisson s’annonce quand l’épi de blé bascule. Tant qu’il n’est pas mûr, il est dressé vers le ciel. A maturité, l’épi se recourbe vers le sol. Il est temps de le couper et de le lier en bottes.
Celles-ci sont mises à sécher trois par trois, appuyées en faisceaux les unes aux autres. On appelle ces formations des viottes ou des demoiselles. Quand tout le champ est moissonné, on ramasse les gerbes avec une charrette tirée par un cheval et on les assemble en meules ou meulons : on meulonne.
Un toit de paille protège la récolte jusqu’à l’hiver, où l’on aura le temps, enfin, de s’occuper du battage.
Toutes ces étapes laborieuses ont disparu avec la mécanisation. Celle-ci a apporté son lot de mots nouveaux, et en a avalé quelques autres, qui sont allés rouler dans la poussière comme de vieux chapeaux melons.

Lis martagon

Lis martagonSi vous avez la chance de passer vos vacances dans la fraîcheur de la montagne en ce moment, vous découvrirez peut-être ce magnifique lis qui pousse à l’état sauvage dans l’Est de la France. C’est le lis martagon. Portez-lui un amour platonique : il est protégé.
Le lis martagon est d’une telle élégance qu’on a du mal à en croire ses yeux quand on le rencontre dans la nature. Il n’a pas l’air adapté à la rudesse du climat, avec ses délicats pétales qui se recourbent à maturité. On le croirait échappé de chez le fleuriste, en vadrouille dans les alpages.
En Haute-Normandie, il est absent sauf dans les jardins, en particulier celui de Claude Monet à Giverny. Son bulbe se plante à l’automne en même temps que les tulipes. Mais, comme il a l’habitude du climat de montagne, il n’est pas pressé de fleurir. On en trouve en plusieurs coloris, le rose étant le plus fréquent.

La chasse des cormorans

La chasse des cormorans

Des dizaines de cormorans qui s’organisent pour chasser ensemble, c’est un spectacle qu’on peut observer sur la Seine, dans ses bras un peu tranquilles.
Naguère en voie de disparition, le cormoran a bien remonté la pente. Il pullule aujourd’hui, ce qui lui fait pas mal de congénères pour organiser une grande battue sur l’eau.
Le cormoran est un oiseau assez particulier. Ses plumes ne sont pas imperméables comme celles des autres oiseaux d’eau, si bien qu’elles ne retiennent pas de bulles d’air et qu’il pique facilement vers le fond. Il se nourrit de poissons qu’il attrape en plongeant. Sa célérité subaquatique ne lui suffit pourtant pas toujours : le cormoran rate souvent son coup.
Quand il nage à la surface, son corps s’enfonce dans l’eau, et seule la tête dépasse à la manière d’un périscope. Sa lourdeur se manifeste aussi au décollage. L’envol parait laborieux, il ne survient qu’après avoir longtemps couru à la surface de l’eau.
Le cormoran a su faire de ses particularités des atouts. Regroupés en bandes, les oiseaux s’élancent à la surface, qu’ils battent de dizaines de claquements de pattes. Les poissons affolés filent exactement vers l’endroit où les cormorans les poussent et les rassemblent, et où ils vont se faire gober tout crus.
Ce manège n’échappe pas aux mouettes qui circulent dans les parages, toujours prêtes à faire un sort aux poissons blessés. Ni aux hérons.
Les échassiers suivent la pêche des cormorans en restant là où ils ont patte, au bord de la berge vers laquelle les cormorans poussent les poissons. Si les proies arrivent en eau peu profonde, les cormorans n’ont plus assez de place pour plonger, mais c’est parfait pour les hérons qui n’ont plus qu’à se servir.
Toutes ces explications m’ont été fournies ce matin par un fin connaisseur de la Seine. Passionné, passionnant, le capitaine Dominique Polny propose des excursions dans son petit bateau aux alentours des Andelys. Ca n’a rien à voir avec les balades fluviales un peu monotones que vous avez peut-être déjà faites. La verve et les connaissances de Dominique Polny en font un moment extraordinaire. On ne voit pas le temps passer.

L’effet brouette

Brouette à GivernyCe n’est pas vraiment une photo de brouette. Plutôt une allusion, une suggestion, une évocation de brouette.

Une des spécificités du jardin de Monet est de mêler étroitement les deux passions de l’artiste, la peinture et le jardinage. Elles s’entrelacent en permanence. Il y a beaucoup du peintre dans le Monet jardinier, et réciproquement.
Dans mes visites aussi, peinture et jardinage sont tricotées ensemble. Quand on parle des fleurs, des arbres, lumière et couleurs ne sont jamais très loin. Les visiteurs n’en sont pas surpris, ils acceptent bien l’idée qu’ils circulent dans un tableau fait avec des plantes.
Toutefois, quand on parle peinture, le lien avec le jardinage est plus inattendu. Chaque fois que je raconte comment Claude Monet se rendait sur le motif avec une brouette pleine de toiles commencées, je vois les regards se tourner vers moi, cherchant la confirmation de ce que les oreilles viennent d’entendre.
Ces mouvements de tête sont si fréquents, si prédictibles que je me suis creusé la mienne pour en cerner la raison. A quoi tient cet effet brouette ?
Les explications que j’ai imaginées sont les suivantes, peut-être pourrez-vous m’en suggérer d’autres :
– Il y a quelque chose de prosaïque dans l’idée de brouette. Une simplicité concrète. En plein développement sur le principe assez intellectuel de la série, l’irruption d’un mot issu du lexique du jardinage sonne comme un oxymore qui réveille l’attention.
– Cette brouette poussée par Monet, c’est l’image du système D. Il a besoin de trimballer ses tableaux par les chemins, hop ! dans la brouette du jardinier ! La débrouillardise rend Monet sympathique.
– La brouette impose l’idée de mouvement. Le mot suffit à susciter l’image du peintre marchant d’un pas vif dans le petit matin.
– N’y aurait-il pas un très léger effet comique dans cette idée des tableaux dans la brouette ? Un aspect incongru ?

Si cette interrogation sur les clés de l’effet captivant du mot brouette me préoccupe, c’est parce qu’il s’est manifesté de façon fortuite. Ses ressorts dévoilés pourraient être une source d’inspiration pour rendre captivants intentionnellement d’autres parties du discours.
Toutes proportions gardées, c’est un peu comme en sciences, quand on cherche à systématiser un résultat obtenu par hasard. Comment passer des premières expériences de fusion froide à l’énergie gratuite pour tout le monde, par exemple. Il y a du chemin à faire, mais cela vaut la peine de se creuser la tête.

Rien de nouveau sous la lune

Allée principale du jardin de Monet, GivernyAu pied d’un massif violet où dominent les dahlias, les glaïeuls et les lis, un coussin de capucines orange vient apporter la couleur complémentaire. Bientôt, les fleurs tapisseront toute la surface de l’allée. L’effet est attendu des habitués de Giverny. Mais cette année quelque chose a changé.
Au lieu de la masse verte des feuilles de capucines d’où émergent tout au bout les fleurs éclatantes, comme le montrent les photos des dernières années, voilà que les corolles des capucines ont pris le dessus cet été. On ne voit qu’elles, chatoyantes de différents tons d’orange.
De plus, on sent que la plante n’en a plus pour très longtemps avant d’avoir envahi toute l’allée. La rencontre des deux rangées se fera plusieurs semaines plus tôt que l’an dernier.
Quelle est l’explication de ce mystère ? Le chef-jardinier m’a donné une partie de la clé de l’énigme : les capucines ont été plantées plus tôt cette année. Au lieu d’être semées en place, elles ont été démarrées en serre et repiquées, pour gagner quelques jours d’avance de végétation.
Mais ceci ne suffit pas à expliquer l’abondance des fleurs. Et ce n’est pas la météo fraîche et pluvieuse qui en est responsable non plus.
Alors ? Quand on a épuisé toutes les hypothèses, toutes choses égales par ailleurs, il reste à envisager l’influence du calendrier lunaire.
Au terme de siècles d’observation empirique, les jardiniers ont remarqué que certains jours sont plus favorables que d’autres pour favoriser la croissance des fleurs, ou au contraire des feuilles, des racines ou des fruits.
A la Fondation Monet, on ne jardine pas avec la lune, mais il n’est pas impossible que les capucines de la grande allée aient été semées et repiquées par hasard les jours ad hoc. Ce sera difficile à vérifier, car les dates des semis ne sont pas enregistrées au jour près. Mais cela vaudrait la peine de respecter le calendrier lunaire l’an prochain. Juste pour voir si on obtient le même résultat splendide.

La messe des conducteurs

Eglise de St-Christophe sur CondéUne tradition se maintient bien vivante à Saint-Christophe sur Condé, dans l’ouest de l’Eure. Dimanche prochain, le 29 juillet, le village si paisible devrait connaître une animation inhabituelle à l’occasion de la traditionnelle messe des conducteurs.
Dans la charmante petite église en damier de silex et calcaire, où les bancs de bois s’alignent dans la nef, les bannières et les porte-cierge sont prêts à reprendre du service. Dans l’entre-deux guerres, des cartes postales anciennes en témoignent, c’était tout un défilé d’automobiles qui venaient se faire bénir solennellement par le clergé à Saint-Christophe sur Condé.
C’est que saint Christophe, patron du village, est aussi celui des gens qui voyagent, qui circulent, qui conduisent les autres. Comme son nom le rappelle, il a porté le christ sur son épaule. Il a résisté à tant de martyres qu’il est devenu un grand protecteur.
Au temps de la foi, on l’invoquait en cas de difficulté, mais aussi de façon préventive, pour qu’il protège le croyant tout au long de la journée.
Son effigie est facile à reconnaître : saint Christophe est figuré en géant qui porte un enfant sur l’épaule. Son grand bâton lui permet de prendre un appui lorsqu’il traverse à gué les rivières.

Bâti près de l’eau

Vernon, le vieux moulinLe sens de certaines expressions ne coule pas de source, surtout quand on les découvre dans une langue étrangère. En allemand, avoir bâti près de l’eau, c’est avoir la larme facile, pleurer pour un oui ou pour un non. (nah am Wasser gebaut haben)
Parfois, le sens est plus transparent, comme l’image de l’eau qui coule pour marquer la fuite du temps. Mais les métaphores lexicalisées ne se transposent pas toujours telles quelles d’une langue à l’autre. Le jour où je me suis risquée à traduire mot pour mot « de l’eau a coulé sous les ponts », mon interlocuteur germanique m’a dit que j’étais très poétique. Alors qu’en anglais, l’expression existe : « a lot of water has passed under the bridge ».
J’ai un faible pour les gens qui ont bâti près de l’eau, qui se laissent aller à l’émotion. Pourquoi voyage-t-on, si ce n’est pour vivre des émotions ?
Ma cliente arrivait non pas d’Allemagne mais des Etats-Unis, en compagnie de deux jolies adolescentes. Elle a pleuré en mettant le pied sur le pont japonais, quand elle a découvert le paysage d’eau créé par Claude Monet.
« Je n’arrive pas à croire que je suis là ! Ca fait trente ans que j’en rêve !  »
C’était à coup sûr le symptôme d’une Linnea-ite aiguë. Diagnostic vite confirmé : en effet, la dame et ses filles avaient lu et relu le fameux petit livre qui a su faire rêver tant d’enfants et leurs parents d’un voyage à Giverny.
Pour cette quadragénaire, de l’eau avait coulé sous les ponts depuis son enfance, mais le rêve était resté là, intact. Au point que l’eau du bassin aux nymphéas lui a fait monter les larmes.

Vernon, le vieux moulin sur la Seine

La Maison du Tourisme

La Maison du Tourisme de GivernySi vous n’avez pas mis les pieds à Giverny depuis deux ans, vous ne reconnaîtrez pas cet endroit. C’était naguère une propriété rurale assez délabrée, située entre la fondation Claude Monet et le musée des Impressionnismes.
Cet emplacement stratégique et sa disponibilité ont valu une seconde jeunesse à l’ancienne maison Boutisseau. La vieille bâtisse qui abritait un pressoir et ses annexes ont pris du galon. On y trouve maintenant une terrasse, une boutique cadeaux, des plantes, de la brocante et même, tout au fond, une maison du tourisme.
Oui, la vitrine régionale qui doit donner envie aux visiteurs de Giverny de prolonger leur séjour en Normandie ou en Ile de France, c’est cette grange derrière les parasols.
Cet improbable emplacement de la maison du tourisme de Giverny en fond de cour a été l’objet d’une vive polémique, au moins autant que le curieux montage financier qui sous-tend le projet. Le bon sens voudrait que les visiteurs ne puissent pas manquer le local où on va les renseigner. A Giverny, ils devront commencer par se renseigner pour trouver le local.
Combien en pousseront la porte ? 1 sur 50 ? 1 sur 100 ? C’est clair, il fallait une maison du tourisme, mais étant donné le coût de celle-ci pour le contribuable, ce même contribuable est en droit de se demander si elle n’aurait pas été plus efficace ailleurs.
Quant aux professionnels du tourisme, ils s’étonnent des priorités des pouvoirs publics. Une maison du tourisme, c’est bien, mais… Un demi-million de visiteurs chaque année à Giverny, et toujours pas de toilettes publiques.
C’est sans doute parce qu’à la campagne, on a des buissons.

Géraniums

Plaque émaillée Les GéraniumsCette plaque émaillée vue aux Andelys ornait déjà la porte de cette maison il y a cent ans. Elle témoigne de la prédilection des propriétaires d’alors pour cette fleur indémodable, le géranium. Alors que d’autres belles plantes sont tombées en disgrâce, le géranium, en pleine floraison actuellement, mérite toujours bien son nom de « roi des balcons ».

Bleu lin

La fleur de linA moins que vous ne soyez en train de surfer depuis votre portable, cette fleur doit vous apparaître nettement plus grosse qu’au naturel, où elle fait la taille d’un ongle, perchée toute seule au bout de sa tige.
En plus d’être d’une petitesse insignifiante, elle se paie le luxe d’une floraison ultra éphémère, quelques heures à peine. Alors, pourquoi la cultiver, en particulier à Giverny ?
Peut-être pour son joli bleu délavé comme le ciel normand, finement strié de sombre.
Ou peut-être parce que c’est une fleur de lin, l’une des cultures emblématiques de la Haute-Normandie.
C’est à la mi-juin qu’il faut aller se balader dans la campagne de l’Eure et de la Seine-Maritime pour admirer les nappes bleues des champs de lin, tout en délicatesse.
Là où le colza fait claquer son jaune jusqu’à la stridence pendant plusieurs semaines, le lin joue l’élégance dès sa floraison.

La Hulotte

Couverture de La Hulotte N°97Déjà quarante ans que la Hulotte régale ses lecteurs tous les six mois environ d’un merveilleux numéro qui arrive dans la boîte aux lettres par surprise.
Distribué uniquement par abonnement, le magazine nature est cousu main par son auteur : Pierre Déom fait tout lui-même, la recherche documentaire dans les publications scientifiques, les dessins à l’encre de Chine, et les textes.
Cette perle de la presse française a su gagner, au fil des ans et en toute discrétion, 160 000 abonnés.
A deux numéros par an, on ne risque pas de se lasser. Voilà trois décennies que je suis sous le charme des plumes de la Hulotte, celle qui dessine les plantes ou les animaux avec finesse, et celle qui fait vivre frelon, vautour, ou salamandre en leur donnant la parole. J’attendais un prétexte pour parler de la Hulotte dans givernews, et voilà que la dernière livraison starise l’escargot !
C’est un numéro qui se dévore, évidemment. L’escargot, cet être si énigmatique, nous parle de tout ce qui fait sa vie, y compris :
– son rapport à la météo (« s’il y a une chose dont j’ai horreur, c’est de me retrouver la tête criblée de gouttes d’eau ») ;
– ses mets préférés et ceux qu’il n’aime pas (« je suis en général très peu attiré par les feuilles vertes ») ;
– les propriétés fabuleuses de sa bave, pardon, son mucus (« ce produit miracle peut passer en une fraction de seconde de l’état liquide à l’état solide, puis redevenir liquide » à volonté) ;
– sa dentition (« ce système de petites dents pointues remplacées en permanence par une ribambelle de crocs flambant neufs est celui qui a également été adopté par les Requins. Une référence. »).
On découvre le « plan de l’escargot » vu en coupe. Ses pratiques pour se procurer du calcaire. Et, suprême bonheur, on apprend tout, tout, sur ses rayures.

Le mot de vulgarisation scientifique est vraiment très moche pour qualifier la subtile alchimie inventée au fil du temps par la Hulotte. Elle combine la rigueur scientifique et une tendresse du regard qui vise à susciter l’empathie des lecteurs pour tel ou tel habitant de la nature, souvent mal-aimé. Le tout pimenté d’une pointe d’humour, dans un style accessible par les enfants.
Si vous voulez enfin savoir ce que pense un escargot, abonnez-vous à la Hulotte. Ou abonnez un gamin et piquez-lui sa revue. Ou allez lire La Hulotte à votre médiathèque, qui la reçoit sûrement.

Les Coquelicots

Poppies at Argenteuil Ce tableau figure au catalogue raisonné de Claude Monet sous le titre "Les Coquelicots à Argenteuil". Au musée d'Orsay où il est conservé, on le nomme "Les Coquelicots". Exécuté en 1873, c'est l'une des toiles les plus célèbres de Claude Monet.
Vous trouverez sur ce site le lieu où l'on suppose que le peintre s'est installé pour exécuter cette oeuvre. Il n'y a pas beaucoup d'éléments identifiables, mais il semblerait que le cadre soit plutôt celui de l'île Marante, sur le territoire de la commune de Colombes, et non pas Argenteuil située sur l'autre rive de la Seine. Cela n'a au fond pas tellement d'importance, car le paysage a été radicalement transformé par l'urbanisation.

Quiconque a déjà vu un champ envahi par les coquelicots accepte sans sourciller l'idée du titre, selon laquelle les taches vermillon du tableau représentent les fameuses fleurs sauvages. Mais si l'on vient d'une partie de la planète où les coquelicots sont inconnus, il est difficile de voir dans ce tableau une représentation florale.
Il y a de l'audace dans ce titre, comme dans le tableau lui-même. Monet aurait pu lui donner un nom plus conventionnel, tel que "Promenade dans les prés" ou encore "L'Eté". En choisissant "Les Coquelicots", il affirme qu'ils sont le vrai sujet de l'oeuvre. Les personnages ne sont qu'un prétexte pour animer la scène. Ce qui compte, ce sont les taches rouges qui font vibrer le paysage.
Il ne fait pas de doute que la jolie jeune femme et le petit garçon qui parcourent l'image, en haut et en bas du talus, sont la famille de Claude Monet : Camille, qu'il a épousée en 1870, et le petit Jean, né en 1867. Le fils de Monet porte le même chapeau de paille à ruban rouge que sur d'autres toiles, par exemple l'admirable Femme à l'ombrelle où il pose, le même été, à côté de sa mère.
Monet n'est pas dérangé par le fait de faire figurer plusieurs fois les mêmes modèles sur un tableau. C'est une convention picturale courante. Dans le Déjeuner sur l'herbe, on reconnaît trois fois son ami Bazille.
Ici, les vêtements différents portés par la femme du haut et celle du bas sont peut-être l'indice de deux séances de pose distinctes, comme un signe du temps qui passe. Cette image du temps se matérialise aussi dans l'idée d'une promenade, le temps qu'il faut aux personnages pour aller du haut du talus jusqu'au bas de celui-ci. Comme dans les tableaux du Moyen Âge, Monet semble représenter plusieurs scènes consécutives sur la même toile.
Il est à noter que Monet a exécuté une deuxième toile de la même scène (collection particulière) en ne conservant que le couple du bas.

Le tableau n'est pas très grand, 50 cm par 65 cm. Les personnages sont à peine esquissés, et pourtant Monet y a mis tout l'amour qu'il porte à sa femme et à son fils. Camille, saisie dans une attitude toute en grâce et en féminité, a laissé son ombrelle glisser vers l'arrière, dévoilant le dessous tendu de bleu pâle, comme un rappel du ciel. A ses côtés, l'enfant n'a que le haut du corps qui dépasse des herbes. Réduit à un buste, il rappelle les putti de la Renaissance.
Pour marquer l'éloignement, les traits des visages sont indistincts, ils se présentent comme des taches claires. L'impression de perspective et de profondeur est renforcée par la rangée de coquelicots du premier plan, plus grands que les autres.

Qu'est-ce qui fascine tant dans cette oeuvre ? Elle suscite spontanément l'empathie. Le spectateur se projette dans les personnages à peine suggérés : on se souvient d'avoir, enfant, cueilli des coquelicots, on est cette jeune femme élégante qui cherche son équilibre comme un funambule, en écartant un peu les bras, tandis que le vent joue dans les rubans de son chapeau, on est le peintre qui immortalise la scène champêtre.
Surtout, l'expérience sensorielle proposée par l'image séduit. Avancer parmi les fleurs, se glisser au milieu d'elles jusqu'à mi-corps, comme on marche dans la mer. C'est une expérience qu'on peut faire en ce moment à Giverny dans le jardin créé par l'artiste. Les coquelicots et les pavots sont si hauts qu'ils masquent les allées. De loin, les visiteurs semblent baigner dans une marée florale. C'est une expérience de fusion avec la nature, symbolique de la relation que Monet entretenait avec elle.

Ce tableau daté d'un an avant la première exposition impressionniste concentre bon nombre des principes chers au mouvement dont Monet est le chef de file, notamment la peinture de plein air, les teintes claires, et l'utilisation de taches de couleurs sans souci du détail. Mais il présente aussi certaines caractéristiques plus conventionnelles : représentation des loisirs bourgeois, et cette étonnante palette grisée rehaussée par les arbres sombres, qui évoque celle de Corot.
Monet a fixé sur la toile une lumière tamisée par les nuages. Ils sont très nombreux à circuler dans le ciel, et c'est sans doute la raison pour laquelle Camille a laissé son ombrelle reposer sur son épaule. Elle n'en a pas besoin, les nuages ombrent la scène.
On peut comparer les teintes adoucies des Coquelicots d'Orsay à celles, éclatantes, du Champ aux coquelicots de l'Art Institute de Chicago peint en 1890.

Des roses à foison

Maison de Claude MonetC’est une année à roses. Dans tous les jardins elles sont plus belles que jamais, elles croulent, débordent, en masses denses aux couleurs délicates ou surprenantes. Chez Monet, celles qui courent sur la pergola devant la maison sont magnifiques. Voilà plusieurs années qu’on ne les avait pas vues aussi généreusement fleuries, ourlant de fleurs roses et blanches la façade de la demeure.
On pourra les admirer toute l’année prochaine dans les foyers de la région vernonnaise : hier soir, les pompiers sont venus en grande tenue faire les photos de leur calendrier. Pour eux, les volets ont été rouverts.
Les services de secours connaissent bien le chemin de la Fondation Claude Monet, où ils interviennent en cas de malaise ou de blessure, ce qui survient forcément vu le nombre de visiteurs. Ils se montrent toujours efficaces et gentils.
Comme à chaque fois que les soldats du feu se déplacent en groupe, pour aller au stade par exemple, le matériel les accompagnait, prêt à servir. Il s’en est suivi un déploiement assez inhabituel de camions rutilants dans les rues de Giverny. Vers 19 heures hier soir, le village s’est offert son micro défilé du 14 juillet.

Date à retenir

GivernyDes coquelicots rouges, des pavots roses, des phacélies mauves, des campanules bleues, et des roses, des alliums, des juliennes, des stachys, des oeillets mignardises, plus toutes celles que j’oublie : voici un massif impressionniste de fin de printemps à Giverny, bien dans l’esprit de Claude Monet.
Souvent les visiteurs me demandent le nom de telle ou telle fleur. Quand je le connais, j’aime bien les renseigner, qu’ils soient mes clients ou non.
Justement en voici qui s’interrogent, sourcils froncés, devant les belles hampes chargées de grosses clochettes qui fleurissent en bleu blanc rose partout dans le jardin.
– Savez-vous comment s’appellent ces fleurs ? me demandent-ils en anglais, avec une certaine tension dans la voix.
– Des campanules de Canterbury.
– Ah, merci ! répond la dame soulagée d’avoir enfin la réponse. Des campanules de Canterbury !
Elle me regarde avec un étonnement mêlé d’incrédulité :
– C’est vraiment leur nom ?
Je confirme.
– Nous venons de Canterbury ! explique-t-elle.
On sent que pendant un quart de seconde, elle a imaginé que je connaissais son origine et que j’avais forgé le nom en conséquence, puis elle s’est rendu compte que je ne pouvais pas avoir connaissance de cette information et a conclu en toute logique à une amusante coïncidence.

Quand les visiteurs manifestent de la curiosité et de l’intérêt, c’est un grand plaisir de répondre à leurs questions. Comme s’en justifiait avec humour une retraitée, « on est jeune alors on ne sait pas tout ! » Nous sommes parties d’un éclat de rire. « Je devrais pourtant le savoir, a-t-elle poursuivi, parce que je suis née le 7 août. » Et devant mon air interloqué, elle a répété : « le sait tout ».
Une date à retenir, pour ceux qui ont de la mémoire.

Monet intime, photographies de Bernard Plossu

Atelier de Claude Monet, photo Bernard PlossuLe musée des Impressionnismes Giverny présente une exposition de photographies qui va durer jusqu’au 31 octobre 2012. En accès libre dans sa salle du sous-sol, elle s’intitule « Monet intime ».
Le titre est trompeur. Ne vous attendez pas à voir des photos de Monet en famille, détendu, loin des poses de la presse officielle. Pas un seul cliché ne représente Monet, et pour cause, ce sont des photos récentes.
Les 60 prises de vue ont été réalisées par le photographe Bernard Plossu suite à une commande du musée et vont entrer dans les collections.
Bernard Plossu, dont la carrière commence en 1965, s’est fait une spécialité de la photo de voyages, à l’opposé des clichés touristiques ou esthétiques. Ses photos ne donnent presque rien à voir, et tout à sentir.
C’est du noir et blanc, ou alors de la couleur aux tons si éteints qu’on dirait des photos anciennes, des tirages par le procédé Fresson dont Plossu est un défenseur acharné. Avec du grain, du flou, du gris, comme une brume sombre qui flotte.
Le photographe est venu à Giverny pendant l’hiver 2010, puis au printemps. Quand on enlève les couleurs de Giverny, les fleurs de la belle saison, que reste-t-il ?
Au fil des images, on se promène dans la maison de Claude Monet endormie pour l’hiver. Les meubles sont couverts par des housses, fantomatiques. L’éclairage est faible. On regarde timidement par les fenêtres, sans écarter les rideaux. Dehors, les ifs font des masses sombres.
On sent le photographe présent de tout son être. Comment aller vers l’euphémisme, vider la photo de tout pour qu’il n’y reste qu’un essentiel palpable et surprenant ? Il ne montre rien mais il offre le silence, le vide, une pensée disponible qui paraît flotter, réceptive. Le regard glisse deci-delà, s’arrête sur une photo ancienne, un coin de meuble, repart…
Peut-être est-ce le moment où la présence de Monet se révèle, seul dans les lieux où il a vécu. Bernard Plossu l’a ressenti, dit-il, d’où le titre de l’exposition. Il nous offre son expérience d’une visite « intime » de Giverny.
A comparer avec sa vision de l’abbaye de Jumièges, en Seine-Maritime, où une autre exposition Plossu ouvre aujourd’hui.

Le jardin de Valérianes

Le jardin de ValérianesHier j’ai visité, sous la pluie, le jardin de valérianes. Il se trouve en Seine-Maritime près de Buchy, à une bonne heure de route de Giverny.
Ce jardin privé qui s’étend sur 12000 m2 est l’oeuvre d’un couple qui l’embellit depuis trente ans. Il se compose en grande partie de vivaces et d’arbustes originaux, et d’une multitude de digitales qui ont trouvé dans la terre limoneuse et acide du plateau leur terrain de prédilection.
J’ai déambulé entre les masses de feuilles et de fleurs avec le regard des visiteurs de Giverny qui s’étonnent et s’émerveillent, en nommant au passage les plantes que je reconnaissais. Ce petit jeu m’a valu d’être qualifiée de geek par le jeune informaticien qui m’accompagnait.
Je suis frappée, quand je passe du côté du visiteur, par la nécessité de mettre des mots sur l’expérience de la visite. Sans mots, la vision glisse et s’échappe, le cerveau n’arrive pas à organiser les images qu’il reçoit en leur donnant du sens. On s’exclame un peu machinalement, c’est beau ! c’est beau ! mais on oublie tout de suite ce qu’on a vu.
J’ai regretté, donc, de ne pas avoir de guide. Ce qui m’a manqué plus encore que des détails sur les végétaux, c’est de découvrir l’intention. J’ai besoin de rembobiner la pelote du fil d’Ariane, de comprendre par quel cheminement on est arrivé à ce résultat.
Une petite vidéo donne un début d’explication sur le développement du jardin de valérianes.
Allez-y, c’est un rêve de jardin, subtil et intime. Vous y passerez un moment harmonieux de dialogue avec la nature, sans être troublé par des cohortes de visiteurs.

Coquelicots

Pavots et coquelicotsAprès les pavots d’Islande, qui ont été les premiers à fleurir en jaune ou en orange, voici le tour des pavots annuels aux délicats tons de rose.

Comme c’est aussi le temps des roses, le jardin de Claude Monet se pare de l’harmonie colorée la plus fraîche qui soit, en rose et vert.

Cette année, les jardiniers ont laissé aussi pousser beaucoup de coquelicots sauvages, et peut-être même bien qu’ils les ont aidés un peu à se ressemer allègrement.
Partout leurs petites têtes rouges apparaissent au milieu du vert des massifs.

Ils réveillent les tons, ils gomment ce que le jardin rose pourrait avoir de trop mièvre.

Coquelicot à Giverny Toutes ces couleurs éclatent sous le ciel humide de Normandie, bien mieux que sous le soleil brillant de la semaine dernière.

Les eremurus, ou lis des steppes, dressent leurs hampes florales blanches le long de l’allée centrale au dessus des derniers alliums.
Parfois, un coup de vent les fait danser.

L’air embaume, les roses bien sûr.

Photo de Monet

Photo de Monet par Lilla Cabot Perry, vers 1899-1909, Smithsonian InstitutionLe très officiel institut fédéral de recherches américain Smithsonian Institution rassemble des archives immenses, y compris sur des personnalités artistiques. Dans ses collections se trouvent quinze clichés pris par Lilla Cabot Perry, la voisine de Claude Monet, pendant ses séjours à Giverny.
En cliquant sur le lien, vous pourrez voir et agrandir ces photos uniques. Celle-ci, par exemple, a dû être prise au bout du bassin, au niveau de la vanne qui permettait de faire entrer l’eau du Ru dans l’étang. On reconnaît à l’arrière-plan la colline de Giverny.
Monet, bien campé dans ses bottes, a encore la barbe noire. La photo n’est pas datée. Le Smithsonian propose une fourchette entre 1899 et 1909. Monet a au moins 58 ans.
Son regard se perd hors champ. Réflexe de peintre, Monet a pris la pose de trois-quart face qui est celle des portraits peints. Sur la photo suivante, il présente son autre profil.
Dans ses mains, un papier, et son éternelle cigarette. Chemise raffinée, volant le long de la patte de boutonnage. Quel jour est-on ? Dimanche ?
Le chemin au tracé moins net qu’aujourd’hui est bordé de végétation. Sur la berge très étroite à cet endroit, on reconnaît des iris et des papyrus, marque du goût de Monet pour les plantes exotiques. Et juste derrière Monet, l’un des saules à osier si courants dans la région. Il y en a toujours un aujourd’hui, mais un peu plus à gauche.

Oeillet de poète

oeillet de poète L’oeillet, c’est un petit oeil. L’image n’est pas très parlante avec les variétés unies, mais elle le devient pour les oeillets bicolores, où la couleur dessine une cible.
Le nom botanique de l’oeillet, dianthus, en fait la fleur des dieux, pas moins. Pourquoi est-elle plus qu’une autre dédiée au poète ? Mystère.
Dans le langage des fleurs l’oeillet de poète désigne l’amour. C’est l’une des raisons pour laquelle, blanc comme celui-ci, il a trouvé sa place dans le bouquet de mariage de la princesse Kate. On ne voit pas trop comment elle aurait pu s’en passer, en fait, car le nom anglais de l’oeillet de poète est Sweet William, justement le prénom de son charmant mari.
On se creuse la tête depuis belle lurette pour savoir qui pouvait bien être ce fameux doux William qui a donné son prénom à la fleur. Pour les uns, c’est par ironie, un noble particulièrement cruel. Pour les autres, c’est le Conquérant, à moins qu’il ne s’agisse de Shakespeare (tiens ! tiens ! revoilà le poète !).
Perso, l’explication que je trouve la plus convaincante est celle-ci : william serait une déformation du français oeillet, tout bêtement.
Un billet dédié à la famille royale anglaise, jubilé oblige.

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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