Fichu caractère
Parfois, une question préoccupe les visiteurs. On dirait qu’ils se sont promis de la poser et qu’ils ont peur d’oublier, à peine a-t-on mis le pied dans le jardin qu’ils interrogent, comme anxieux de la réponse. Et des réponses, il n’y en a pas toujours.
– Vous trouvez que le génie autorise à avoir un fichu caractère ?
Fichue question.
Je n’aime pas insister sur les aspects les moins glorieux de la personnalité de Monet. Mais il avait la réputation d’être difficile à vivre : entièrement accaparé par son art et son jardin, il était d’humeur variable. Ses lettres le montrent tantôt enthousiaste, débordant d’énergie et d’activité, tantôt doutant, mécontent de lui ou du temps, parfois en proie à la colère, capable d’envoyer tout promener et de détruire des dizaines de toiles.
Les témoignages de ses contemporains le décrivent comme un tyran domestique. Il ne supportait pas le moindre retard dans le service des repas, était d’un exigence extrême sur leur qualité, et régentait tout dans la maison.
En ce qui concerne ses rapports avec les membres de la famille, Claude Monet n’était sans doute guère empathique. Il a fait peu de cas des sentiments de Blanche et de Breck, par exemple, et n’a pas hésité à mettre fin à leur romance.
Mais Blanche ne lui en a pas voulu, elle lui est resté dévouée jusqu’à sa mort, avec une patience d’ange. C’est elle qui affirme qu’il aimait les enfants. On sait aussi qu’il chantait de temps en temps, qu’il pouvait être d’un caractère enjoué. Il a donné de nombreuses toiles à des fins caritatives, il a aussi consacré beaucoup de son temps à défendre des causes, à organiser des souscriptions. Personne n’est tout noir ou tout blanc, mais d’un gris plus ou moins clair.
– Vous trouvez que le génie autorise à avoir un fichu caractère ?
Mais qui peut répondre à cela ? Qui sommes-nous pour juger et trancher ? Chacun fait ce qu’il peut. Comment savoir ce qu’on ressent quand on a le génie de Monet, quand on doit livrer une lutte avec soi-même pour faire naître les chefs-d’oeuvres en gestation ?
Question ultime, cette lutte surhumaine excuse-t-elle la tyrannie, l’impatience, l’intolérance ?
Ce n’est pas à nous de le savoir, ni d’en donner la réponse.
Pommier en cordon
Tout en haut du jardin de Monet, un carré de pelouse est entouré de pommiers taillés en cordon. Cela n’a rien d’extraordinaire en Normandie, on en voit dans beaucoup de jardins. Pourtant ces pommiers « en espalier » suscitent une grande curiosité chez les visiteurs du jardin. Ils se demandent ce que c’est, si c’est mangeable, et sont toujours très étonnés d’apprendre qu’il s’agit tout bonnement de pommes.
Les pommiers de Monet produisent de belles pommes à l’automne. Je ne sais pas si quelqu’un les mange, en tout cas j’aimerais bien les goûter.
Ce midi, un de mes clients croquait une pomme quand je l’ai rejoint à l’heure de notre rendez-vous. Je venais de finir la mienne. Amusée par la coïncidence, je lui ai cité le dicton anglais, « Une pomme par jour tient le médecin à distance ». « Moui, a-t-il répondu sans l’ombre d’un sourire, on le dit, mais je n’aime pas beaucoup ce dicton, étant médecin moi-même. » J’ai éclaté de rire de ma gaffe, et la visite a été très sympa.
Erable du Japon
J’en apprends avec les personnes que je conduis à travers les jardins de Monet. Il y a quelques jours, des visiteurs m’ont expliqué que cet arbre à feuillage rouge qui pousse au bord du bassin était un bonsaï d’un âge vénérable. Cela coûterait une petite fortune d’en acheter un de cette taille, ont-ils précisé en connaisseurs. Je n’ai pas retenu le nom qu’ils lui donnaient.
D’autres visiteurs ont ensuite parlé d’érable du Japon, un nom beaucoup plus facile à retenir. Il en existe paraît-il de très nombreuses variétés, près de 400, chez Monet il y en a deux, un vert et un rouge, tous deux au feuillage très découpé et très fin.
Et puis ce matin ma cliente croyait se souvenir que le sien s’appelait un Osaka Zuki. Ce n’est peut-être pas exactement le même, mais cette fois, nous avons trouvé un bout de papier et un stylo pour noter ce nom qui sent bon le Japon.
Au printemps, quand les azalées sont en fleurs, n’a-t-on pas l’Impression d’être au pays du Soleil Levant ?
Les allées fermées
Dans le jardin fleuri de Monet, seulement trois allées sont accessibles au public. Les autres, plus petites, sont fermées.
La raison en tombe sous le sens. Quand on ouvre une allée au public, il faut au moins que deux personnes puissent s’y croiser, qu’on puisse faire passer un fauteuil roulant. Ce serait transformer profondément la physionomie du jardin que d’agrandir les petites allées. Monet les a voulues étroites, comme de fines lignes à travers les fleurs. A distance, elles disparaissent, il ne reste plus que l’impression d’une mer de tiges et de pétales jusqu’à l’autre bout du jardin.
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Fourmi
C’est dingue, la vie des petites bêtes. Les ressources énormes qu’elles ont – marcher au plafond, grimper sur des parois lisses et verticales, se faufiler dans le moindre interstice – et les obstacles insensés auxquels elles sont confrontées. Pensez-vous qu’on puisse se perdre à l’intérieur d’une pivoine comme sur un échangeur d’autoroute, que ses pétales denses vous fassent l’effet d’un labyrinthe ?
Mais qu’est-ce qu’elle est venue faire ici, cette fourmi ? Quel est son but, vers où court-elle au péril de la chute ?
Je l’envie un peu de pouvoir trottiner à même ces surfaces merveilleuses qui évoquent les fleurs en sucre des pâtissiers, mais là, franchement, elle me donne le vertige.
Henri IV
Deux villes proches de Vernon sont liées à l’histoire du roi de France Henri IV : Rosny sur Seine, près de Mantes la Jolie, est la ville natale de son ministre des Finances Sully. Et surtout, dans la vallée d’Eure, Ivry a vu se livrer une bataille décisive, qui a valu a la petite cité de devenir Ivry-la-Bataille.
C’est à Ivry que le courageux roi aurait prononcé son célèbre « ralliez-vous à mon panache blanc » qui a inversé le cours de la bataille.
C’est peut-être parce qu’Ivry commence par IV que cette victoire a ouvert à Henri IV la voie vers Paris…
Art Nouveau
Comme la plupart des villes d’Europe, Vernon recèle son lot de maisons construites au tournant du 20ème siècle, une époque de croissance économique. Les classes moyennes de la Belle Epoque qui se faisaient bâtir des demeures plus ou moins luxueuses ont fait les beaux jours de l’Art Nouveau.
Le style Art Nouveau est un des plus faciles à reconnaître, avec ses lignes courbes « en coup de fouet » et ses décors de végétaux ou d’animaux. Ces éléments ne sont pas toujours présents, mais quand ils le sont, on est sûr que le bâtiment a environ cent ans.
Octave Mirbeau, grand ami de Monet, a la dent dure quand il décrit l’Art Nouveau :
« Tout tourne, se bistourne, se chantourne, se maltourne ; tout roule, s’enroule, se déroule, et brusquement s’écroule. »
Le style Art Nouveau a été si populaire, si présent dans tous les domaines – décoration, architecture, affiches… – que ses contemporains ont fini par ressentir la surdose.
Aujourd’hui, l’Art Nouveau délasse plutôt qu’il ne lasse. Son évocation de la nature, ses figures féminines idéalisées, ses formes sinueuses si gracieuses ont retrouvé leur attrait. Guetter les éléments typiques de ce style en se promenant dans les rues donne l’occasion de poser un oeil neuf sur sa ville. Pour vous mettre en appétit, voici un balcon dont vous apprécierez toute la finesse en cliquant sur l’image.
La mère de Claude Monet
Claude Monet parlait rarement de sa mère, morte quand il avait seize ans. Louise Justine Aubrée Monet est longtemps restée mystérieuse, jusqu’à ce qu’on découvre récemment une nouvelle source biographique, les mémoires de Théophile Béguin Billecocq, comte et ministre, qui fréquenta la famille Monet dès 1853. Le jeune Claude était alors un enfant de douze ans.
Théophile livre un portrait détaillé de Madame Monet mère en femme du monde accomplie : intelligente, enjouée, elle savait entretenir la conversation « avec l’aisance des jeunes femmes qui ont été élevées à Paris ». Elle appréciait les poètes romantiques et écrivait des vers depuis son enfance, des vers plutôt bons selon lui, ce qui ne gâtait rien.
La mère de Claude Monet dessinait avec talent et peignait à l’aquarelle dans de petits carnets de croquis qu’elle ne montrait qu’à ses intimes. Elle jouait la comédie « avec grâce » et adorait recevoir dans son salon les notables du Havre, les riches étrangers de passage et la bonne société parisienne en vacances sur la côte.
Elle aimait aussi lire, en particulier Balzac et Lamartine. Surtout, elle aimait la musique, elle chantait avec une belle voix de soprano et organisait de petits concerts chez elle, se faisant accompagner au piano ou au violon.
Sa mort prématurée est une perte immense pour le jeune Claude, qui trouvait chez elle le soutien artistique qui lui manquait chez son père. Théophile raconte que l’adolescent, aimable et drôle en général, pouvait tomber parfois dans une mélancolie profonde qui le quittait aussi soudainement qu’elle était venue. On en devine la cause…
Les Campanules Sylvie
La pluie et le vent ont couché mes campanules Sylvie, qui poussaient si droites l’année dernière. La campanule Sylvie, nomenclature toute personnelle forgée sur l’anémone sylvie, ou anémone des bois : c’est mon amie Sylvie qui m’a donné des pieds de grandes campanules bleu ciel, il y a plusieurs années.
Je regarde tristement les longues tiges des campanules fleurir la tête basse. Sylvie s’en va le mois prochain.
Et je me demande combien de temps il faut pour que le soleil sèche la pluie. Pour y gagner, à cause de la couleur des blés, pour que les étoiles au ciel se mettent à rire, pour que les campanules redressent la tête et finissent par tintinnabuler.
Les crocodiles du bassin
La fin d’année est propice aux voyages scolaires. Au grand dam de certaines personnes en âge d’être grand-mères, les groupes d’élèves se succèdent en ce moment à Giverny.
« Pourquoi est-ce qu’on les emmène là ? Qu’est-ce que ça leur apporte ? » grognent parfois les visiteuses dérangées dans leurs contemplations botaniques.
Mais si on tend l’oreille à l’expression spontanée de cette marmaille remuante, c’est un régal.
Comme je me trouvais à l’accueil des groupes en même temps qu’une classe de maternelle, j’ai engagé la conversation avec les enfants les plus proches de moi.
– Vous savez ce que vous venez voir ?
– On vient voir Claude Monet ! claironne une blondinette.
– Vous allez voir sa maison et son jardin, mais pas Claude Monet, parce que ça fait très longtemps qu’il est mort !
L’information du décès du maître des lieux la saisit. Elle fait passer le scoop en se retournant vers les autres enfants :
– Hé ! Claude Monet, il est mort ! Depuis longtemps !
– Il est mort depuis quatre-vingt un ans ! dis-je en insistant sur ce gros chiffre. Même ses enfants sont morts.
Elle se retourne à nouveau.
– Même ses enfants sont morts ! répète-t-elle pour les autres avec la même stupéfaction.
Mon badge avec la photo et le logo tricolore les intrigue.
– Pourquoi tu as ça ?
Je résume :
– Mon métier, c’est d’expliquer tout sur Monet.
-Aaah ! font-il pensifs. Ils ignoraient l’existence de ce métier. Miss porte-voix s’empresse de le faire savoir aux copains. « La dame elle explique tout sur Monet ! »
Un autre enfant s’est approché d’un gardien qui porte une magnifique cravate à motif de nymphéas.
– C’est comme dans le livre ! s’exclame-t-il en montrant du doigt. La maîtresse constate, amusée, que le motif est bien celui du tableau qu’ils connaissent. Maintenant ils sont trois petits garçons autour du gardien en train de toucher sa cravate pour mieux la voir.
– Et ils sont où les poissons ?
– Ils sont dans l’eau sous les nénuphars, on ne les voit pas, répond patiemment le gardien.
Un de ses collègues est plus farceur :
– Faites attention, il y a des crocodiles dans le bassin !
Regards étonnés et un peu inquiets.
– Des crocrodiles ? Ah bon ! Je savais pas qu’y avait des crocrodiles !
Voilà un groupe qui ne jouera pas à pousser des ouh ! de fantômes dans le passage souterrain. Ils vont scruter le bassin de Monet comme un nouveau Loch Ness, à la recherche d’une longue mâchoire aux dents pointues, d’une paire d’yeux proéminents et d’un corps couvert d’écailles.
Les toits de Vernon
Ce matin les hirondelles volaient assez haut dans le ciel, faisant mentir les prévisions pessimistes de Météo France. Ce sont elles qui ont eu raison, il n’est pas tombé une goutte aujourd’hui.
De là-haut, elles doivent avoir une vue sur les toits de Vernon proche de celle qu’on a depuis le sommet de la Tour des Archives.
Ce qui frappe tout d’abord le promeneur essouflé d’avoir gravi cent marches et qui contemple le paysage en attendant que son coeur reprenne un rythme normal, c’est la silhouette élancée de l’église émergeant des maisons qui l’entourent. On dirait une poule au milieu de tout plein de poussins.
Le quartier entre la tour et l’église a été peu affecté par les bombardements de la dernière guerre. Il a conservé son tracé du Moyen-Age, avec ses rues étroites et ses toitures enchevêtrées.
L’ardoise et la tuile se disputent les faveurs des couvertures à Vernon. Je crois qu’un comptage effectué en vue de définir quel matériau il faut employer pour les nouvelles constructions dans les secteurs protégés a conclu à un partage à 50-50. Les architectes et les particuliers ont donc le choix, petite tuile plate brun rouge ou ardoise.
On n’a pas toujours prêté autant d’attention à l’harmonie générale. Il y a quelques décennies, la tendance était plutôt de privilégier les matériaux modernes si pratiques. Quantités de toits se sont vu couverts de tuiles de Beauvais, une tuile mécanique à la jolie teinte chaude mais au rendu raide et uniforme. Avec le temps, elles finissent tout de même par se patiner et par avoir leur charme.
De tous ces toits émergent des forêts de cheminées devenues passablement superflues depuis qu’on ne se chauffe plus au bois ou au charbon. Les ramoneurs les ont désertées, il reste les petites fenêtres aménagées dans les combles qui leur permettaient d’accéder au toit pour ramoner le haut des cheminées.
Sous les toits, à la faveur d’une discontinuité de la rue, on aperçoit aussi quelques pignons de maisons à colombages. Leur dessin bicolore rappelle que nous sommes déjà en Normandie. Vernon a une vocation de ville frontière. Sous Philippe-Auguste, au 12ème siècle, c’était la dernière ville française en bord de Seine. La limite s’est un peu déplacée. Aujourd’hui c’est la première ville normande le long du fleuve.
Entretien du bassin
L’entretien du bassin aux Nymphéas de Monet est une tâche quotidienne. Il faut constamment supprimer les herbes aquatiques qui flottent à la surface ainsi que les pollens de peupliers qui se déposent sur l’eau au début du printemps.
A l’époque de Monet, un jardinier était dévolu à l’entretien de l’étang. Parmi ses attributions figurait une tâche assez singulière : chaque matin, il devait laver les nymphéas.
Un contemporain a décrit cette occupation routinière du jardinier, qui circulait en barque entre les nénuphars et plongeait les boutons dans l’eau avant qu’ils ne s’ouvrent dans la matinée.
Monet n’aimait pas que quelque chose vienne s’interposer entre son motif et son oeil. La route qui longe le jardin d’eau n’a cessé de devenir de plus en plus passagère. Les véhicules à moteur soulevaient des nuages de poussière qui venait se déposer sur les fleurs aquatiques.
Avec la détermination qui lui était coutumière, Monet a résolu le problème. En proposant de régler la moitié de la dépense, il a obtenu du conseil municipal de Giverny de faire asphalter la portion de chaussée qui traverse sa propriété. C’est le jardinier du bassin qui a dû être content.
Histoire de couple
J’aime bien raconter l’histoire de la grande allée. Tout le monde s’y projette volontiers, et elle suscite souvent des commentaires ou au moins un sourire de la part des visiteurs.
La grande allée existait déjà à l’arrivée de Monet et sa famille, divisant le jardin en deux parties égales. Elle était bordée de grands sapins et se terminait par les deux ifs que l’on voit toujours.
L’ombre donnée par les arbres en jetait une sur le couple de Claude et d’Alice, la future femme de Monet : ils étaient très divisés sur la question.
Alice appréciait beaucoup cette allée ombragée qui lui permettait de sortir dans le jardin sans ombrelle. Monet ne l’aimait guère parce que les fleurs refusaient d’y pousser.
Vous pouvez voir sur la photo qui a gagné. De disputes en négociations, Monet a obtenu ce qui a dû lui paraître un compromis. Il a conservé les ifs, et il a fait couper les sapins à trois ou quatre mètres de hauteur.
Vous imaginez ce que cela donne de couper des sapins adultes à trois mètres du sol : il ne reste que des troncs dénudés, des sortes de colonnes sur lesquelles Monet a fait pousser des rosiers grimpants. Entre ces piliers, il a installé les arches métalliques qui servent également de supports à des rosiers.
L’effet était assez joli, même si les fûts couverts de roses faisaient un peu bizarre. Au fil du temps, les arbres privés de branches et de faîte ont fini par pourrir. Monet les a fait abattre définitivement et l’allée a pris son aspect d’aujourd’hui.
Brouette de jardin
Il y a tant à faire pour entretenir le jardin de Claude Monet à Giverny que les jardiniers sont obligés de travailler pendant les heures d’ouverture au public.
Mais cette superbe brouette en bois qui a l’air prête à servir au coin d’une allée n’a qu’un but décoratif.
Les huit jardiniers utilisent du matériel plus pratique et plus léger, en métal, même s’il est moins joli.
Zaandam
Zaandam est à Amsterdam ce qu’Argenteuil est à Paris : une banlieue autrefois riante qui est devenue très industrielle et urbaine.
« Monet a peint chez nous, nous venons de Zaandam », m’ont dit deux visiteurs hollandais, et ce nom m’a aussitôt évoqué une maison verte au bord de l’eau et des multitudes de moulins.
Zaandam se situe au nord d’Amsterdam le long de la rivière Zaan, dans une région de polders.
Il y avait des centaines de moulins à Zaandam autrefois, il en reste une vingtaine soigneusement préservés. Les moulins prenaient feu à la première occasion, la foudre par exemple qui les menaçait beaucoup dans ce pays tout plat, c’est pourquoi la plupart ont disparu. Le meunier devait être vigilant et surveiller que son moulin n’allait pas trop vite, pas trop fort, sinon les meules risquaient d’émettre de dangereuses étincelles.
Les moulins servaient à toutes sortes d’usages : pomper l’eau des terres situées sous le niveau de la mer, broyer et moudre la moutarde, les pigments, fabriquer de l’huile… Nous avons l’image de moulins s’élevant au milieu des champs, et nous les associons spontanément à une activité agricole, mais ils étaient des sources d’énergie utilisées à toutes sortes de fins. Ce n’est pas étonnant que la région de Zaandam ait évolué vers l’activité industrielle.
Aujourd’hui les immeubles et les usines ont remplacé les champs. La maison verte (« Maisons au bord de la Zaan à Zaandam ») existe toujours, c’est une belle demeure au bout d’une rangée de maisons à pignons plus récentes.
Dans un autre tableau, « Zaandam », Monet a représenté un bateau à voile et deux maisons le long de la berge. « La maison jaune est appelée la maison de thé. Les riches se faisaient construire des pavillons dans leur jardin où ils allaient prendre le thé. » Le pavillon de thé a survécu lui aussi, mais il n’y a plus de voiliers, tout au plus des péniches. Les arbres des jardins ont cédé la place à des constructions.
C’est à l’été et l’automne 1871 que Monet fait un premier séjour en Hollande. Il revient de Londres où il s’est réfugié pendant la guerre franco-prussienne. Il peint 24 toiles à Zaandam ou aux environs, des moulins avec des bateaux, des maisons le long de la rivière, et pour finir le portrait d’une demoiselle nommée Guurtje van de Stadt, fille des négociants chez qui Monet demeurait.
Ce serait lors de ce séjour qu’il aurait eu la révélation des estampes japonaises et commencé sa collection.
Lundi de Pentecôte
Les accès les moins fréquentés du métro parisien portent l’indication « ouvert les jours ouvrables ». L’allitération involontaire de la formule donne naissance à une poésie administrative qui n’est pas sans charme. Mais la proximité phonétique d’ouvert, ouvré et ouvrable est bien faite pour engendrer des confusions. En guise d’exemple, prenons un cas d’une brûlante actualité, celui du lundi de Pentecôte.
Il fut un temps où le lundi de Pentecôte était chômé, il faut être très jeune pour ne pas s’en souvenir. Comme le lundi de Pâques, on ne savait plus trop bien pourquoi, mais c’était l’aubaine d’un long week-end. Vinrent la canicule de 2003, l’hécatombe parmi les personnes âgées les plus fragiles et la culpabilité collective. L’occasion était trop belle pour le gouvernement d’obtenir en douceur la suppression d’un jour férié. Notre ex-premier ministre décida donc la mort du lundi de Pentecôte.
Le problème, c’est que ces bêtes-là, c’est coriace. Ca résiste. Ca refuse de se laisser abattre.
Le lundi de Pentecôte a été enterré pour les uns, mais pas pour les autres.
A Giverny, comme il faut bien fixer un jour de fermeture, le musée Monet est fermé le lundi. Ce choix judicieux se démarque de celui des musées nationaux fermés le mardi, et permet d’offrir une alternative aux touristes parisiens.
Cette règle connaît une exception tout aussi logique, celle des lundis fériés. L’affluence est telle pendant les ponts que la Fondation Monet ouvre exceptionnellement les lundis fériés. Donc, à l’époque où a été fixée cette règle, le lundi de Pâques et le lundi de Pentecôte.
Reste une question : le lundi de Pentecôte est-il ou n’est-il pas férié ?
L’an dernier, le musée a consciencieusement appliqué la nouvelle norme. Le lundi suivant le dimanche de Pentecôte ravalé au rang de lundi ordinaire a suivi la règle ordinaire, celle de la fermeture. Quand tout le monde travaille, on ne travaille pas.
Cette année, pourtant, il n’est pas impossible qu’on revienne à l’ancien système de l’ouverture, parce que visiblement, le lundi de Pentecôte a beau être ouvrable, il n’est pas encore beaucoup ouvré. Information officieuse que je vous invite à vérifier par téléphone le jour J si vous envisagez de faire un tour à Giverny ce week-end.
Mais si vous en avez la possibilité, le mieux est encore de choisir une autre date. Les week-ends les plus chargés sont habituellement ceux de la Fête des Mères et de la Pentecôte.
P.S. Depuis 2009, la question en se pose plus : la Fondation Monet est ouverte 7 jours sur 7 pendant toute la saison.
Iris
« Si la pluie ne s’y met pas, il y en a encore pour une dizaine de jours, mais c’est une fleur qui n’aime pas trop l’humidité. » Parole de jardinier de Giverny, la collection d’iris du jardin de Monet est à son apogée, en même temps que les roses et les pivoines.
En honneur du maître qui aimait beaucoup ses iris, c’est une débauche de fleurs plantureuses aux couleurs renversantes. Des plus pâles aux plus foncés, les iris jouent à qui sera le plus beau, à qui retiendra l’oeil. On dirait des jeunes filles au bal cherchant à séduire leur prince charmant. Regardez cette merveille en corsage jaune paille et jupe à volants, elle va se mettre à danser…
Pour obtenir un bel effet avec des iris, il ne faut pas lésiner sur la quantité. Monet les cultivait en bordure d’allées dans des plate-bandes de près d’un mètre de large. Il aurait sûrement aimé les variétés d’aujourd’hui plus hautes et plus grosses que de son temps, très florifères, et aux coloris plus divers et plus splendides que jamais.
Splendeur du printemps
Quand j’accompagne des visiteurs dans les jardins de Monet à Giverny, les premiers pas se font dans le silence. J’aime bien guetter l’émerveillement sur leur visage, pour le plaisir de m’assurer que nous sommes en phase.
« Vous devez être blasée », me disent parfois les visiteurs. Il n’en est rien. Entrer dans le clos fleuri et découvrir cette mer de corolles et de couleurs qui s’étend jusqu’au pied de la maison, traverser le pont japonais et embrasser d’un coup d’oeil toute l’étendue du jardin d’eau sont des joies que je retrouve intactes chaque jour.
Je ne suis pas la seule à revivre chaque jour la magie du jardin, si j’en crois le laconique « Il y a pire que nous » de l’un des gardiens.
Le printemps donne au clos fleuri des allures de jardin d’Eden. « Nous avons trouvé le Paradis, disaient les peintres américains en découvrant Giverny, il ne nous reste plus qu’à en jouir. » Le jardinier Monet a encore renforcé cette impression paradisiaque. Comme lui en 1883 tout le monde a envie d’écrire : « Giverny est un pays splendide pour moi ».
La pierre de Vernon
Voilà près d’un millénaire qu’on extrait de la pierre des carrières de Vernon pour construire des châteaux et des églises, la plus célèbre étant la Sainte-Chapelle à Paris.
Les carrières de pierre s’ouvrent à flanc de coteau sur la rive droite de la Seine. D’en bas on ne voit rien, mais la colline est percée d’un dédale de galeries interminables où il ne ferait pas bon s’aventurer, si les entrées n’étaient soigneusement fermées.
La plupart des carrières ne sont plus exploitées aujourd’hui, toutes leurs ressources épuisées, sauf une dont les blocs sont réservés à la restauration des monuments historiques.
La pierre de Vernon est un beau calcaire blanc dans lequel on peut trouver des silex, surtout depuis qu’il ne reste plus que les bancs les moins fins à exploiter. Autant le calcaire est facile à sculpter, autant le silex est dur et résiste au ciseau des tailleurs de pierre. Seule l’énorme scie circulaire à ruban diamanté en vient à bout.
C’est dire le défi lancé tous les deux ans aux tailleurs de pierre qui participent aux journées de la sculpture sur pierre à Vernon. Chacun des participants se voit remettre un bloc de pierre. De l’extérieur il est bien difficile de savoir où se cachent les silex, et donc de prévoir comment les intégrer dans l’oeuvre.
Les concurrents ont deux jours pour sculpter ce qu’ils veulent, un chapiteau, une cariatide, une niche, dans un style imposé qui change à chaque édition. Cette année c’était la Renaissance.
Le concours a eu lieu dimanche dernier. Je n’ai pas attendu la remise des prix, je ne sais donc pas qui a gagné, mais le jury a dû avoir du mal à départager les plus belles pièces. Sur cette délicate tête de femme, par exemple, l’artiste a fait des silex des sortes de parures de cheveux. Ailleurs, ils forment l’oeil d’une salamandre.
L’oeuvre du gagnant rejoindra la collection de la ville de Vernon exposée au jardin des Arts, là même où se déroulait le concours.
Grenouille ou crapaud ?
C’était d’abord une rumeur, il y aurait des grenouilles dans le bassin de Monet à Giverny.
Puis j’ai entendu un papa et son fils parler des deux belles grenouilles qu’ils avaient vues sur un radeau de nénuphars. Rendue sur les lieux qu’ils m’indiquaient, pas l’ombre d’un batracien en vue, hélas.
Ensuite, j’ai surpris un coâ sonore et répété, mais pas moyen d’admirer le ténor caché dans les roseaux.
Enfin, enfin, hier, je l’ai vue, tapie tout près de la berge. C’était l’heure du bain de soleil et la bête ne bougeait pas, j’ai pu l’observer et la photographier à loisir.
Comme vous pouvez le constater c’est un bestiau de belle taille, ce qui fait que je me demande si en fait de grenouille il ne s’agirait pas plutôt d’un crapaud. Si c’est une grenouille, elle est pourvue de cuisses dodues qui auraient fait le régal de la famille de Monet. On raconte qu’un jour les garçons avaient attrapé soixante grenouilles. Brrr… J’avais envie de les voir, mais de là à les imaginer grouillant comme une plaie d’Egypte…
Souvenir de jardin
C’est la pleine floraison des roses à Giverny. Devant la maison de Monet, le massif de rosiers tiges et de pelargoniums est au mieux de sa beauté.
L’espace qui s’étend devant la demeure a conservé quelque chose des parterres à la française qui s’y trouvaient avant l’arrivée de Monet.
C’est une zone plus formelle que le reste du jardin, avec des plates-bandes composées de fleurs d’une seule variété et d’une seule couleur, contrastant avec la profusion qui règne ailleurs. Au printemps, ce sont des tulipes roses surgissant de myosotis bleus. En été, des étendues de géraniums roses ou rouges.
J’ai déjà parlé de ce massif de géraniums et de rosiers devant lequel Monet aimait se faire prendre en photo.
Ce parterre semble d’un autre style, d’une autre patte que la sienne, et pour cause : le peintre a reproduit un souvenir de jardin. Le massif est une copie de celui de son enfance dans le jardin de sa tante Lecadre près du Havre.
Alors qu’il était âgé d’une vingtaine d’années, Monet a peint à plusieurs reprises le jardin de Sainte-Adresse. Quand on regarde bien le fond de ce tableau on reconnaît le massif qui a servi de modèle pour celui de Giverny.
Ainsi se balance l’espace devant la maison : devant l’aile droite, sous les fenêtres de la chambre du peintre, le parterre qui lui évoque son enfance. Au bout de l’aile gauche, côté cuisine et chambre des filles d’Alice, l’enclos aux dindons chargé de souvenirs pour Alice.
Rose simple
Monet préférait les fleurs simples, c’est-à-dire avec une seule rangée de pétales, aux fleurs doubles froufroutantes de pétales bien serrés.
Parmi toutes les roses qui fleurissent cette semaine à Giverny, il s’en trouve beaucoup qui ressemblent à celles-ci.
Ces variétés simples sont proches de l’églantine sauvage, l’aïeule de tous les rosiers. En mai l’églantine étale ses fleurs aux délicates teintes nacrées le long des chemins, leur offrant pendant quelques jours des allures de jardin.
Réciproquement, accueillir des roses simples dans un jardin de fleurs lui donne aussitôt un je ne sais quoi de rustique qui rappelle les chemins creux.
C’était peut-être l’effet que recherchait Monet à Giverny, un côté naturel un peu sauvage, un peu campagne, qui cadre avec le lieu et l’amour du peintre pour les paysages de Normandie.
Buste de Monet
L’an prochain, il y aura peut-être un chemin qui mènera jusqu’à ce buste de Claude Monet à Giverny. Mais pour l’instant il faut couper à travers champs en se mouillant les pieds, tout au bout du parking municipal de Giverny, pour aller admirer cette oeuvre récemment inaugurée du sculpteur Daniel Goupil.
Un si beau buste caché au fond d’un parking, cela paraît aussi bizarre que dommage, comme une lampe sous le boisseau. Tout s’éclaire, si j’ose dire, quand on apprend les raisons qui ont conduit l’artiste à choisir cet emplacement retiré : le visage de Monet se trouve exactement à l’endroit où il se plaçait quand il peignait sa série de prairies aux peupliers.
C’est tout à l’honneur du sculpteur d’avoir opté pour cette localisation symbolique plutôt que pour une autre plus visible mais moins chargée de sens ailleurs dans le village.
Le banc mouillé
Ses bras invitant cachaient une traîtrise. Vous aviez envie d’un peu de repos, vous ne vous êtes pas méfié, vous vous êtes assis.
L’information d’un agréable relâchement musculaire arrive à votre cerveau une seconde avant une autre information, tout à fait contrariante celle-là : le banc était mouillé.
Votre visage trahit-il quelque chose de votre désagrément ? Pour l’instant vous êtes le seul à le savoir. A travers le vêtement, vous ressentez une fraîcheur humide qui ne laisse aucun doute, mais vous pouvez encore faire comme si. Quelle réaction choisissez-vous ? Pester haut et fort contre le banc ou contre vous-même, mettre tout le monde au courant de votre mésaventure ? Ou au contraire essayer que personne ne s’en aperçoive ?
Si l’idée d’exhiber un fondement orné d’une marque humide en son point de contact avec le siège vous fait honte par avance, vous élaborez des stratégies. Vous allez peut-être nouer négligemment votre pull autour de votre taille, prétextant la douceur de l’air. Ou à l’inverse remettre votre manteau en arguant de sa fraîcheur.
Ressaisissez-vous. Ce n’est qu’un peu d’eau qui sèchera vite. Vous n’êtes plus un enfançon sur le point de se faire réprimander parce qu’il n’a pas su contrôler sa miction.
N’attachez aucune importance à l’épisode. Levez-vous et continuez votre promenade sans y penser.
Tout le monde a déjà été sujet à ce genre d’étourderie. Si quelqu’un venait à le remarquer, il vous saurait gré de lui donner l’occasion de constater qu’il n’est pas le seul à être imparfait.
Le banc n’était pas un traître. C’était un tendre qui a posé sur vos joues d’en bas un joli baiser mouillé en forme de coeur.
Clemenceau et Monet
Georges Clemenceau est sous les feux de l’actualité aujourd’hui. Notre Président tout neuf a rendu hommage à son lointain prédécesseur à la tête de l’Etat pendant la Première Guerre Mondiale, au Père la Victoire, au Tigre, bref au côté public du bonhomme.
Ce qu’a été Clemenceau au cours de sa carrière politique, je n’en sais que ce qu’on en apprend en classe et je ne me risquerais pas à l’évoquer. Mais j’adore, je raffole de Clemenceau côté privé.
Clemenceau et Monet ont vécu une extraordinaire et très longue amitié. Il en reste 153 lettres du Tigre au peintre, des lettres à hurler de rire et fondre de tendresse, qui livrent une image inattendue de l’homme politique.
Clemenceau s’y montre enjoué, encourageant, fraternel, facétieux, gentiment morigénateur, jouant souvent le rôle de soutien moral auprès d’un Monet qui doute. Entre eux deux, l’art. Le génie chez l’un, la passion de l’émotion esthétique chez l’autre.
L’intimité ne cesse de croître entre les deux hommes. A partir de 1920, ils se mettent à s’écrire beaucoup, jusqu’à 35 fois en 1923. Le don des Grandes Décorations de Monet à l’Orangerie et l’opération des yeux nécessaire au peintre en raison de sa cataracte en sont les principaux prétextes.
Clemenceau rend également souvent visite à Monet à Giverny, comme on le voit sur cette photo prise près de l’embarcadère du bassin aux Nymphéas. Le moustachu et le barbu ont l’air d’avoir le même chapelier, ils marchent du même pas et ont le même âge à quelques mois près.
Petits extraits de lettres de Clemenceau à Monet (tirées de « Georges Clemenceau à son ami Claude Monet, Correspondance », Réunion des Musées Nationaux) :
Je trouve votre oeuvre merveilleuse et je le dis. Seulement ce n’est pas assez. Il faudrait trouver des accents pour enfoncer la lumière dans les cerveaux obscurs. Difficile besogne. Travaillez, et soyez remercié d’avance de tout ce que vous ferez pour les yeux qui viendront. A vous de tout coeur. (21 mai 1895)
Et pensez que si vous ne venez pas, vous ne saurez jamais ce que c’est que le bouillon de choux-rèbes. Le reste vaut-il la peine de vivre ? Ce n’est pas certain. (17 août 1920)
Quoi ! Claude Monet rentre dans la circulation comme une vieille pièce de cent sous du temps de Mérovée qui sortirait de sa cachette pour épater nos faux billets de banque ! Alleluia dans les hauteurs ! Je ne vous ai pas écrit pour ne pas vous déranger, et voilà que vous vous dérangez vous-même. C’est une joie. (18 septembre 1921)
Cher ami, je viendrai vous dire adieu mercredi et je profiterai de l’occasion pour vous chiper un déjeuner. Pour vous offrir quelque chose, j’apporterai mon appétit. A vous mon coeur, qui tout aussi bien, est à l’ange bleu. (27 mars 1922)
Cher ami, Tout homme, en venant au monde, a le droit d’empocher au cours de son existence un certain nombre de coups de pieds au… derrière. Il faut croire que vous n’avez pas encore eu votre compte puisque vous vous donnez tant de peine, pour vous attribuer quelques suppléments. (septembre 1923)
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