Impressionnisme américain
Frank W. Benson, Eleanor, 1901 – Huile sur toile, 76,2 × 64,1 cm Providence, Museum of Art, Rhode Island School of Design, don de la succession de Mme Gustav Radeke, 31.079 © Museum of Art, Rhode Island School of Design / Photo : Erik Gould
Vue de France, la situation des artistes féminines de l’impressionnisme fait curieusement écho au manque de visibilité dont pâtit l’impressionnisme américain. L’expo qui vient de s’ouvrir au musée des impressionnismes Giverny démontre avec force le talent de ces peintres méconnus du public français, qu’ils s’attachent au rendu de paysages d’hiver comme Twachtman ou à la lumière du plein été comme Benson.
Les plus familiers de ce côté de l’Atlantique, et l’expo leur fait une grande place, ce sont sans doute ceux qui se sont expatriés longuement en Europe, tels que James Whistler en premier lieu, puis Mary Cassatt et John Singer Sargent. Ils avaient su s’intégrer à la petite communauté des peintres d’avant-garde français, dont ils parlaient la langue. Monet, dans sa correspondance avec Whistler, lui témoigne son amitié. Sargent était un proche avec qui il allait peindre sur le motif. Cassatt s’était mis dans la poche Degas, pas toujours aussi misogyne qu’on pourrait le croire.
On découvre à l’expo de Giverny deux peintures nocturnes de Whistler qui ne rendent pas grand chose en photo, il faut les voir en vrai pour apprécier la finesse de coloriste de ce précurseur qui restitue des ambiances, dans d’étranges tableaux presque monochromes où il ne se passe rien.
Mais la plupart des impressionnismes américains ne firent que de courts séjours en Europe, voire pas du tout. Leur originalité est d’avoir adapté l’impressionnisme à leur continent, en mettant en scène à la fois les beautés de la nature nord-américaine, et l’optimisme d’une nation en plein essor. Tarbell et Benson s’illustrent par des représentations familiales en plein air où la critique verra l’incarnation de la femme du XXe siècle, gracieuse et décidée.
Ci-contre, le peintre Frank Benson a pris pour modèle sa fille Eleanor, qu’on voit grandir de tableau en tableau. L’utilisation de bleu dans les ombres du bras, par exemple, la touche hachurée et vibrante, les couleurs claires, le plein air, montrent l’adoption des principes de l’impressionnisme.
L’impressionnisme et les Américains, jusqu’au 29 juin 2014, Musée des Impressionnismes Giverny
Les femmes impressionnistes
Berthe Morisot, Psychée, 1876, Musée Thyssen Bornemisza de Madrid
Les impressionnistes n’étaient pas tous des hommes. Au moins quatre femmes contemporaines de Monet et Renoir ont fait partie de la même avant-garde, manifestant un immense talent et un grand sens de l’innovation. Ces grandes dames sont Berthe Morisot, Mary Cassatt, Eva Gonzalès, Marie Bracquemond.
Plus je découvre leur oeuvre, plus je suis émerveillée. Tenue par une main féminine, la brosse impressionniste se pare d’une grâce inégalée. Les toiles de Berthe Morisot irradient, avec une économie de moyens qui laisse bouche bée. Pourquoi ces femmes impressionnistes ne sont-elles pas plus connues ? L’avenir finira-t-il par rendre justice à ces immenses artistes qui vivaient dans un monde où la gent féminine était reléguée au second plan ?
Nos voisins allemands paraissent intéressés par la place des femmes dans l’impressionnisme. Après l’exposition de Brême (2006) qui s’intéressait à Camille, épouse et modèle de Claude Monet, c’est le musée Schirn de Francfort qui, en 2008, a mis en avant les femmes peintres, avec une exposition entièrement consacrée à mesdames Cassatt, Morisot, Gonzalès et Bracquemond qui est partie ensuite à San Francisco. Au passage, le Schirn a forgé un féminin à impressionnistes : ‘Impressionistinnen’, bien joli en allemand où l’on n’a pas peur des mots qui sont longs, mais impossible à transposer en français ni en anglais.
Il fallait une sacrée détermination pour oser, à la fin du 19e siècle, braver tous les interdits inhérents à la condition féminine pour devenir peintre. Et le soutien d’un milieu familial artistique n’était pas gagné d’avance.
Si les choses ne semblent pas avoir été trop difficiles pour l’Américaine Mary Cassatt, amie de Degas, qui a fait de longs séjours en Europe, il n’en a pas été de même pour Marie Bracquemond. Son époux le graveur Félix Bracquemond, moins doué qu’elle, n’a cessé de la railler, si bien qu’elle a fini par dire adieu à la peinture. Avec nos yeux du 21e siècle, on aurait préféré que ce soit à lui qu’elle dise adieu.
Berthe Morisot quant à elle intègre le clan Manet en épousant Eugène, le frère d’Edouard. Cette fois c’est Eugène, qui peignait lui aussi, qui va renoncer à son art, écrasé par les deux génies qui l’entouraient. Edma Morisot, la soeur de Berthe, abandonne elle-aussi la peinture après s’être mariée. On dirait qu’une bizarre compétition s’installe dans les familles, comme lorsque deux arbres plantés trop près se font de l’ombre.
On ne sait pas trop comment le mari d’Eva Gonzalès, le peintre Henri Guérard, considérait le travail de sa femme. La mort prématurée d’Eva à 34 ans a coupé court à toute compétition.
Chez Mary Cassatt, c’est la maladie qui a mis un terme à une longue et fructueuse carrière. Dépression, diabète, et surtout la perte de la vue lui font lâcher les pinceaux. De quatre ans plus jeune que Monet, elle est atteinte de la cataracte à peu près en même temps que lui : elle est aveugle en 1921, il se fait opérer en 1923. Ils vont mourir tous deux en 1926 à quelques mois d’écart, elle dans le noir, lui avec la vue recouvrée.
Pour ceux qui lisent l’allemand, un intéressant article du Stern sur l’expo de Francfort.
Les trois Michel
C’est l’histoire de trois messieurs qui s’appelaient tous Michel. Le premier était mort depuis longtemps. Le deuxième s’intéressait aux gens morts depuis longtemps. Le troisième, depuis longtemps, aimait tuer des gens, à coups de plume. Un lieu, comme un lien, reliait ces trois hommes : le village de Giverny.
Le premier est Michel Monet, second fils de Claude. Il est décédé en 1966.
Le deuxième est Michel de Decker, fameux historien qui habite notre coin du val de Seine. Il est l’auteur d’une biographie sur Monet qui a fait date, car il est allé recueillir à Giverny les témoignages des personnes assez âgées pour avoir connu le peintre. Cela se passait je crois dans les années soixante-dix. Comme historien et comme conférencier, de Decker a une verve inimitable.
Le troisième est Michel Bussi, auteur normand de romans policiers devenus depuis l’an dernier des best-sellers. L’un d’eux, Nymphéas noirs, se passe à Giverny.
Le troisième Michel, pour élaborer son histoire, a puisé dans le deuxième, qui parle du premier. Vous me suivez ?
Selon le deuxième, le premier serait mort sans héritier mais non sans descendance. Michel Monet serait le père de la petite Henriette, (alias Rolande Verneiges) la fille de sa femme Gabrielle Bonaventure, qu’il n’a pourtant jamais reconnue.
Pourquoi Michel Monet s’est-il privé de descendance, s’il en avait une ? A ma question, Michel de Decker avance l’hypothèse qu’il avait peut-être des doutes sur sa paternité. L’historien a promis de faire le point sur le sujet dans la prochaine édition de sa biographie de Monet.
En attendant, Michel Bussi n’hésite pas à présenter comme un fait avéré ce qui n’est que supputation. « Michel Monet habita la maison rose de Giverny jusqu’à son mariage, en 1931, avec le mannequin Gabrielle Bonaventure, dont il avait eu une fille, Henriette », lit-on dans Nymphéas noirs. Et comme l’auteur précise en préambule que le roman se fonde sur des faits authentiques, voilà une affaire pliée.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Pour ma part, je trouve présomptueux de prétendre en savoir plus long que les intéressés eux-mêmes sur leur intimité. Pour moi, tant qu’on ne m’aura pas prouvé le contraire, Michel Monet n’a pas eu d’enfant. Je préfère pour sa mémoire penser cela plutôt que de le considérer comme un père indigne qui n’a pas voulu reconnaître sa fille.
Bien sûr, chacun est libre de penser ce qu’il veut. Et même de s’en moquer éperdument.
Premier tour
Les Vernonnais vont-ils élire un maire de 28 ans à la tête d’une ville de 26000 habitants ? Hier le jeune Sébastien Lecornu, candidat de l’UMP, a fait le meilleur score avec près de 32% des voix. Il est suivi par le maire sortant du mandat précédent, battu sur le fil il y a six ans, Jean-Luc Miraux, ex-UMP, qui totalise 26% des suffrages.
Je suis curieuse de voir ce qui va l’emporter au second tour de la jeunesse ou de l’expérience. C’est l’une de ces nombreuses interrogations sur le report des voix qui donnent de l’intérêt aux élections, et doivent alimenter les conversations ce matin. Par le passé, Vernon s’est singularisée plusieurs fois, en particulier par une pentagulaire (5 listes avaient passé la barre des 10% et s’étaient maintenues). Il y a six ans, la ville traditionnellement conservatrice s’est surprise elle-même en portant à sa tête un maire socialiste, Philippe Nguyen Thanh, salué à l’époque comme l’un des rares maires de France issu de l’immigration asiatique. Son bilan paraît controversé (17 % hier). Mais naturellement rien n’est joué, car le scrutin de ce 23 mars est marqué par une forte absention (40 %).
Et à Giverny ? La campagne et les élections n’ont pas manqué d’intérêt là non plus. Si certaines petites communes de France peinent à constituer une liste et à trouver une bonne volonté pour assumer la charge souvent ingrate de maire, à Giverny, pas moins de 32 personnes se sont portées candidates au conseil municipal cette fois-ci. C’est le signe des enjeux qui animent ce village pas comme les autres. Un autre signe en est le taux de participation très élevé, près de 82 %.
Au final, le suspense n’aura pas été très long puisque 12 candidats sur les 15 membres qui composeront le conseil municipal sont élus dès le premier tour. Le meilleur score revient à… un jardinier de la Fondation Monet, Yves Hergoualc’h, qui rassemble 181 voix, soit 10 de plus que le maire sortant Claude Landais, lui aussi réélu. Bravo Yves !
Photo : détail de la mairie de Vernon
Résultat des urnes : eh bien oui, Vernon a un maire de 28 ans, et le maire de Giverny garde son siège.
Gleditsia
Après un hiver doux, le soleil des derniers jours a convaincu la nature que le printemps est revenu. L’herbe pousse, les arbres bourgeonnent, les premières fleurs s’ouvrent, cloches dansantes des jonquilles, corolles roses des camélias.
Plutôt qu’à la mi-mai, le jardin de Monet pourrait bien avoir l’aspect de cette photo dès la fin avril, quand la glycine embaume, que les myosotis tapissent les bordures et que le gleditsia se décide à déplier ses feuilles d’un très joli vert-jaune, comme un éclat de soleil au-dessus de l’eau.
Le gleditsia, c’est cet arbre qui offre ses branches graphiques au bord du bassin de Giverny. Il s’agit ici de la variété « gleditsia triacanthos sunburst », un cultivar sans épine (inerme). C’est une sage précaution car ses cousins les féviers d’Amérique sauvages ont des piquants longs comme la main.
Dans la vraie vie, je veux dire là où il se sent chez lui, l’Est des Etats-Unis, le Canada, l’Afrique, le gleditsia peut atteindre les 30 mètres de haut. Cela paraît difficile à croire au vu de l’arbrisseau givernois, mais celui-ci n’a peut-être pas dit son dernier mot. Pour voir de belles photos de gleditsia, il faut le chercher sous son nom anglais, Honey Locust. Haut comme un érable, il est impressionnant.
Je n’ai pas remarqué que le petit gleditsia de Giverny produisit déjà des fèves. Peut-être que dans cinquante ans, les visiteurs seront intrigués par de larges gousses contenant des graines et une substance sucrée qui lui vaut son nom anglais un peu bizarre.
Mot à mot, Honey Locust veut dire « Miel Sauterelle ». Il s’agit vraisemblablement d’une allusion à saint Jean-Baptiste, qui, selon l’évangile, survivait dans le désert en mangeant des sauterelles et du miel sauvage. On peut imaginer que les premiers colons qui s’installèrent en Amérique du Nord recherchaient de quoi se nourrir dans leur environnement. Ils eurent l’audace de goûter aux fruits de cette plante inconnue, lui trouvèrent une saveur douce comme le miel, et y virent un aliment providentiel digne d’une référence biblique.
C’est troublant de s’imaginer un instant dans la peau des premiers colons, tenaillés par la peur de mourir de faim, entourés de plantes sans nom, privés soudain de l’expérience accumulée au long des millénaires sur la façon d’utiliser la nature environnante pour subsister. En pensant au gleditsia, on comprend mieux Thanksgiving, la grande fête nord-américaine d’action de grâces pour avoir survécu à la première année de colonie.
J’aimais déjà beaucoup le petit gleditsia de Giverny, connaître la mémoire humaine qui s’attache à lui me le fait apprécier encore davantage…
Quant au nom de gleditsia lui-même, c’est un hommage au botaniste allemand Johann Gottlieb Gleditsch, qui fut directeur du jardin botanique de Berlin au 18e siècle. On lui doit des avancées décisives dans la compréhension de la reproduction sexuée des plantes et la nécessité de la fécondation du pistil par le pollen des étamines.
Le pâtissier des impressionnistes
Si les francophones devaient élire leur pièce de théâtre préférée, je parie que Cyrano de Bergerac serait sur le podium.
L’un des personnages secondaires du chef-d’oeuvre d’Edmond Rostand, le pâtissier Ragueneau, ressemble étrangement à un homme lié aux impressionnistes : Eugène Murer. Peut-être ce dernier lui a-t-il servi de modèle.
A Rouen, on évoque le souvenir de Murer à propos d’un établissement aujourd’hui disparu, l’hôtel du Dauphin et d’Espagne, au 4 – 6 place de la République. C’est là, dans le hall de l’hôtel, que l’ex-pâtissier et toujours amphitryon des peintres exposait à la fin de sa vie une partie de sa collection personnelle, riche notamment d’une trentaine de Renoir. Mais si on voulait trouver Murer, il valait mieux lui rendre visite à Auvers-sur-Oise. Il repose toujours dans le petit cimetière non loin des tombes des frères van Gogh.
Eugène Murer a passionnément collectionné les impressionnistes à une époque où ceux-ci ne trouvaient pas preneur. Les prix pratiqués étaient souvent très bas, mais peut-on lui en vouloir ? Je suppose qu’il avait de l’art une conception d’artisan à artisan, qui évaluait les toiles avec en référentiel le prix des choux à la crème et des macarons.
On l’a accusé d’avoir voulu spéculer, mais je me demande si ce n’est pas une critique après coup, une fois que les peintres impressionnistes ont eu acquis des galons. Car au moment où Murer échangeait des toiles contre un repas ou quelques dizaines de francs, nul n’aurait imaginé le succès futur de la nouvelle peinture. Il courait une plaisanterie méchante sur Murer, tournée ainsi par le journal Le Gaulois en janvier 1880 : « C’est moi qui fais la pâte, c’est le patron qui achète les croûtes, nous disait dernièrement un gâte-sauce. » Des croûtes… En bon pâtissier, Murer avait du goût, et du nez.
Les belles normandes
Les plus chics des vaches normandes jouent les stars à Paris ces jours-ci, sous les projecteurs du Salon de l’Agriculture. Je ne sais pas si elles ont tellement apprécié de monter à la capitale. A mon avis (et je pense en connaître un rayon en bovins, moi qui suis taureau) elles se languissent des vertes prairies de la Manche ou de l’Orne. Elles rêvent de retourner paître sous les ombrages, comme ici à Saint-Grégoire-du-Vièvre, dans l’ouest de l’Eure.
Le concours agricole parisien juge les bêtes sur leur conformation, c’est-à-dire sur leur physique qui doit correspondre aux critères de la race, mais pas seulement. Pour l’emporter, les concurrentes doivent aussi battre des records de production de lait, en quantité et en qualité. On mesure tout, notamment le pourcentage de protéine et de graisse, pour évaluer combien de beurre et de fromage la vache est capable de fournir.
La normande a un tempérament de championne. Il y a quelques décennies encore, on la disait bonne à tout. Bonne laitière, bonne race à viande, facile à vivre, fertile, rustique dans la douce humidité normande… Toutes ces qualités ont fini par lui jouer des tours. Bonne à tout bonne à rien, dit-on aujourd’hui, à l’heure de la spécialisation des races dans une fonction précise. La Prim’Holstein lui est passée devant, cette vache noire et blanche d’origine frisonne qu’on voit partout, à la production de lait hallucinante. Et même la Montbéliarde.
Reconnaître la normande est assez facile en général, quand elle arbore comme ici une robe constellée de petits points, et de belles taches sombres autour des yeux, comme des lunettes de soleil (des stars, on disait). Mais quelquefois la normande peut aussi avoir une robe unie. Ca complique. Pour s’y retrouver, il faut un oeil d’éleveur.
J’espère qu’on continuera encore longtemps à en voir en Normandie, car les grilles d’évaluation ne sont pas tout. Les vaches normandes font partie du terroir. Elles suivent le destin des hommes. Elles souffrent de leurs conflits. Il est rare qu’on pense à elles quand on évoque le Débarquement, pourtant un tiers du cheptel normand a disparu pendant la Seconde Guerre mondiale.
Massif
Bien qu’il n’y ait rien dans les définitions du dictionnaire qui pousse dans ce sens, quand il s’agit de fleurs, on a plus envie de parler d’un massif quand elles forment une masse, et d’un parterre ou d’une plate-bande quand elles sont au ras du sol.
A Giverny, voici les gros coussins de fleurs qui ornent l’avant de la maison de Claude Monet de l’été aux gelées.
A droite, des pélargoniums rouges et roses entourés d’oeillets.
A gauche, une combinaison dense de bégonias, de balsamines et de capucines.
Une quantité de petites fleurs roses, orange et de feuillage cache complètement le sol.
De près, les feuilles des bégonias révèlent leurs nervures et leur verso rouge.
C’est un massif qui fait masse, mais une masse sculpturale, à l’arrondi bien dessiné, qui tranche avec les massifs échevelés qui commencent tout à côté, à l’arrière-plan, sous les structures des clématites.
Giverny déchaîné
Pour travailler plus facilement, les jardiniers de Giverny ont enlevé les chaînes et les piquets qui protègent d’habitude les massifs des pas des visiteurs. Et il a suffi de cela pour qu’on bascule dans autre chose. C’est le jardin tel que Monet pouvait le voir, lui qui en était le presque unique usager.
Toutes les allées gravillonnées sont ouvertes, offertes au regard, invitantes. Elles débouchent sur les allées en dur comme des ruisseaux dans la rivière. Entre elles, les massifs renflés cachent encore les trésors de couleurs qu’ils distribueront généreusement dans quelques semaines.
Tout paraît planté déjà. Le clos et le jardin d’eau sont juste un peu moins au garde-à-vous qu’en saison, quand ils sont constamment ratissés, balayés, soufflés.
Ces tâches reviendront, mais pour le moment les jardiniers en ont d’autres à accomplir. Ils s’affairent dans un va-et-vient de brouettes emplies de branchages ou de mauvaises herbes.
Ici on ne mulche pas, par souci esthétique, et sur le sol nu les sauvageonnes auraient vite fait de proliférer. « Vous aimez désherber, Ariane ? » Me voilà accroupie dans la grande allée, à arracher la véronique avec une joie secrète. Oserais-je l’avouer ? C’est comme un vieux rêve, celui de broder quelques tout petits points dans la grande tapisserie du jardin.
Les perce-neige de Giverny
Dans les jardins de Monet, les clochettes des perce-neige ont surgi ça et là dans les massifs, où elles se mêlent aux premières pensées, au lierre ou au feuillage gris des lavandins.
D’où sortent ces jolies clochettes qu’on guette dès janvier, comme une promesse de l’arrivée prochaine du printemps ?
Qui aurait bien pu avoir l’idée d’en planter, alors qu’elles s’ouvrent toujours pendant la période de fermeture des jardins ?
Sont-elles les descendantes de perce-neige installées par Monet lui-même ?
Il est probable que personne n’a méthodiquement mis en terre ces petits bulbes qui se naturalisent si facilement dans la région.
Les fleurettes se propagent aussi par graines, allant jusqu’à se faufiler entre les marches des escaliers.
Elles se débrouillent si bien toutes seules qu’elles tapissent quelquefois les zones où elles se plaisent.
Si on voulait s’en débarrasser, on n’y arriverait pas.
Qu’importe le mystère de leur origine, elles sont bien jolies, même si pas grand monde ne les voit. « Les perce-neige, c’est pour les jardiniers », sourit l’un d’eux. Un petit plaisir égoïste pour ceux qui oeuvrent toute l’année à offrir des floraisons resplendissantes aux visiteurs.
Calendrier Dumont Février 2014
Voici la photo choisie par les éditions DuMont pour la page de février de « notre » calendrier sur les jardins de Claude Monet.
Dans mon navigateur elle apparaît un peu sombre. Une fois passée entre les mains magiques du graphiste de DuMont pour en adoucir les contrastes, agrandie sur papier glacé, elle est très belle et me fait beaucoup rêver à Giverny.
C’est le spectacle des premiers jours de la saison, quand le jardin est tout frais tout propre avec ses premières feuilles, ses premières fleurs qui déclinent les tons de jaune pour mieux plaire aux insectes. On devine que l’eau est froide encore. Au-dessus du pont japonais tendu comme un arc, la glycine fourbit ses bourgeons.
Toute cette énergie de la nature baigne dans la douce lumière laiteuse des matins du val de Seine, dégageant une harmonie si délicate qu’on a l’impression qu’un rien pourrait la briser. Mais non, le décor du printemps est là, imperturbable. On peut marcher dedans.
Je me languis de Giverny. J’irai voir bientôt où le jardin de Monet en est, et si les bergénias ont fleuri au pied des bambous.
Je sais bien que l’avancée de la floraison telle que sur la photo n’est pas pour tout de suite, même si les mini-jonquilles et les crocus se sont ouverts à ma fenêtre. Dans le jardin il faut attendre encore un peu que le soleil, comme un appel, tire les plantes hors de la terre, et les fleurs hors de leurs boutons.
Le printemps de Geneviève
J’espère que votre journée est placée sous le signe des fleurs, par exemple des roses rouges. En voici d’autres dans une harmonie de couleurs printanières, par massifs entiers. On sent la gaieté pétiller dans ce tableau, n’est-ce pas ? Elles sont partagées par Geneviève, dont vous avez déjà pu goûter à l’humour « piquant » et teinté d’auto-dérision. Un petit mot était joint à l’image :
Voici un « plat d’épinards » réalisé à l’huile à partir de l’une de vos photos. Tomates, radis, navets et chamallows accompagnent la verdure. En réalité les couleurs de la photo sont peut-être un peu plus saturées que celles du tableau, et j’ai un peu interverti l’ordre des fleurettes.
Pour ceux qui n’ont pas suivi, le plat d’épinards fait allusion à un commentaire de Tania sur le billet Flaubert. Des légumes comme ça, on en redemande. Et l’ordre des fleurettes, quelle importance… Vive la licence poétique, vive la liberté de peindre comme on veut !
Au passage, si vous aimez peindre, je vous rappelle que je suis ravie quand mes photos de Giverny vous inspirent, que ce soit celles de givernews.com, de giverny-impression.com, de giverny.org comme ici ou encore de ma galerie giverny-photo.com. Et c’est toujours une joie pour moi de voir votre travail. Merci Geneviève.
Enfin, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, je rappelle à mes lecteurs chéris que les photos sont protégées par le code de la propriété intellectuelle, en langage international le copyright. Si vous voulez en faire un usage commercial, merci de me contacter pour en acquérir la licence d’utilisation.
Aux peintres, aux amoureux des jardins, aux amoureux tout court, douce Saint-Valentin.
L’art américain est de retour !
John Singer Sargent – Lady Agnew de Lochnaw, 1892 – Huile sur toile, 127 × 101 cm – Édimbourg, Scottish National Gallery, NG 1656 © National Galleries of Scotland / Photo : A. Reeve
Le Musée Des Impressionnismes Giverny consacre son exposition de printemps à l’impressionnisme américain. En toute logique, celle-ci a été initiée par la Terra Foundation for American Art, toujours partenaire du musée givernois.
Dès le 28 mars, on pourra redécouvrir comment les artistes venus d’Outre-Atlantique à la fin du 19e siècle ont su faire leur la technique picturale défendue par Claude Monet et ses amis, avant de l’emporter dans leurs bagages.
L’exposition présentera 80 oeuvres, parmi lesquelles les habitués du musée reverront avec plaisir de très belles toiles de Mary Cassatt, Sargent, Whistler, Robinson, ou encore Tarbell. Mais la plupart des tableaux ne sont jamais venus à Giverny.
Le dossier de presse est accompagné d’une quinzaine d’images, qui promettent une très belle expo. On va se régaler de lumière, de scènes de plein air, de nonchalance bourgeoise, de toilettes élégantes, par la grâce d’une palette claire et d’une touche vibrante.
On recherchera ce qui est spécialement américain dans cette peinture-là. Le musée justifie le pluriel de son nom : l’impressionnisme a évolué en de nombreuses branches, et ses variations américaines ne sont pas les moindres.
Dates officielles d’ouverture à Giverny
Tada !!! Je le tiens de source sûre, et à moins de revirement de dernière minute (mais j’en doute) qui serait dû aux circonstances, à un printemps doux et très précoce par exemple, la Fondation Claude Monet ouvrira ses portes le… 1er avril 2014.
Oui, je sais, ce scoop sent le pétard mouillé. La date officielle d’ouverture est depuis toujours le 1er avril. Hommage aux carpes de l’étang, sans nul doute. A moins que ce ne soit en l’honneur de la saint Hugues.
Non, sérieusement, c’est le printemps givernois qui commande, et il ne se réveille guère avant le mois d’avril. C’est mieux qu’il y ait un minimum de fleurs et de couleurs à voir quand on vient visiter un jardin, vous ne trouvez pas ?
Alors voilà, « chez Monet », on ouvre à la date habituelle en 2014 : quelle info ! Pourquoi faire un billet là-dessus ? Parce que la question revient souvent.
Le doute plane pour deux raisons. D’une, l’an dernier, le week-end pascal tombait à cheval sur mars-avril, ce qui avait conduit à une ouverture anticipée exceptionnelle. De deux, cette année, le musée des impressionnismes ouvre dès le 28 mars, ce qui peut donner à penser que les jardins de Monet feront de même.
Pour ma part, je trouve que c’est bien de s’en tenir à la règle, et que l’exception reste exceptionnelle. Sinon on ne sait plus à quel saint se vouer.
Tous les voyageurs qui seront repartis de France avant le 1er avril et qui espéraient bien venir fin mars seront déçus. Chaque jour, hors-saison, on en rencontre quelques-uns dans les rues de Giverny, désolés de trouver porte close. Ils font peine d’avoir fait toute cette route avec ce rêve en tête, et de se cogner à un mur. Mais c’est une vraie question : faut-il ouvrir plus tôt, et pourquoi pas tout l’hiver ?
L’admirable, l’adorable maison de Claude Monet reste là, toujours aussi belle et intéressante. Vaut-elle à elle seule le voyage ? Comment étoffer un peu la visite pour ne pas qu’elle paraisse trop maigre ? Et que faire pour éviter la déception due à un jardin nu, qui n’a pas été dessiné pour l’intérêt hivernal ?
Ce serait un challenge de communication de ne pas survendre. Mais ce serait aussi offrir l’opportunité de goûter à un Giverny plus intime.
Photo du 3 avril 2013. Les pensées figurent parmi les premières fleurs du printemps.
Le profil du bourgeois
En photo comme en journalisme, tout est une question d’angle. Avez-vous reconnu les moustaches qui surmontent cette grosse bedaine ? Mais oui, ce sont celles de Gustave Flaubert. Sa statue s’élève entre les arbres de la jolie place des Carmes à Rouen.
Ce bronze est l’oeuvre d’un artiste d’origine russe, Léopold Bernard Bernstamm, qui l’a exécutée en 1907, donc un quart de siècle après la mort de Flaubert en 1880.
On ne peut pas parler d’un travail d’après nature, mais c’est bien l’écrivain rouennais tel que le décrit Anatole France :
Chauve et chevelu, le front ridé, l’oeil clair, les joues rouges, la moustache incolore et pensante (…) Il me tendit sa belle main de chef et d’artiste, me dit quelques bonnes paroles, et, dès lors, j’eus la douceur d’aimer l’homme que j’admirais. Gustave Flaubert était très bon. Il avait une prodigieuse capacité d’enthousiasme et de sympathie. C’est pourquoi il était toujours furieux. Il s’en allait en guerre à tout propos, ayant sans cesse une injure à venger.
Parmi les croisades perdues d’avance menées par l’écrivain figurait sa haine du prêt-à-penser rendue célèbre par son « Dictionnaire des idées reçues », un bêtisier trop mordant pour avoir pu être publié de son vivant. Mais curieusement aucun de ses aphorismes ne concerne le bourgeois, pour lequel Flaubert avait une aversion définitive qui transparaît dans nombre de ses écrits.
On ne peut être exaspéré que par ce que l’on fréquente de trop près. Or justement, à son corps défendant, Flaubert était un bourgeois lui-même. Regardez-le.
Dans son dernier ouvrage, le sociologue Jean-Claude Kaufmann s’est penché sur l’évolution de la silhouette à travers les âges. Au 19e siècle, l’embonpoint mesuré est « signe de puissance, de santé, et de distinction » et « permet d’affirmer que l’on peut, que l’on sait, profiter de la vie » à condition de savoir « exposer ses rondeurs d’une certaine manière, adopter un style, qui montre à tous que les formes abondantes ne sont pas assimilables au vulgaire ».
Le bourgeois par exemple travaille le port de son ventre. Il l’affiche avec fierté, bien en avant, les épaules redressées pour mieux le mettre en valeur.
On pense au Portrait de Monsieur Bertin peint par Ingres en 1832 (Musée du Louvre). On pense aussi au Claude Monet de la maturité, qui posait pour la photo cambré, gilet ouvert, ventre saillant. Au 19e siècle, un bedon arrondi est donc chic. C’est bien ainsi que l’ont vu les admirateurs de Flaubert qui, en découvrant la statue de Bernstamm au Salon de 1906, ont décidé d’en faire don à la ville de Rouen.
Glycine blanche
De la glycine mauve ou de la blanche, il est bien difficile de dire laquelle est la plus belle. Claude Monet lui-même n’avait pas su choisir et avait planté les deux couleurs… Pour voir celle-ci en fleurs, il faut plutôt venir vers la mi-mai, même s’il est difficile de faire des pronostics.
A Giverny, la glycine blanche est plantée au-dessus du pont japonais, mais elle adore partir à l’assaut des alentours. Elle se hisse à des altitudes folles à la faveur des arbres. Elle est capable de franchir le chemin non seulement par dessus, en gracieuse guirlande, comme on le voit sur cette photo, mais aussi par-dessous, en torpille que rien n’arrête. Un beau jour une pousse têtue se forge un passage sous le goudron, émerge de l’autre côté, et ne se tient plus de joie. Elle grimpe, grimpe, comme pour faire concurrence aux bambous de l’autre côté du pont.
Les jardiniers l’ont à l’oeil, bien sûr. Ses velléités d’escapade sont à la merci de leur bon vouloir. Une année la glycine est autorisée à prendre ses aises, l’autre non…
La taille est indispensable pour ne pas fatiguer la plante, mais assez technique si on veut s’assurer d’une floraison maximale. Ensuite, il ne reste qu’à parier sur le temps, en espérant que la météo ne mijote pas un mauvais coup. Comme beaucoup de fleurs printanières, la glycine n’aime pas les gelées tardives.
Cartoon
Cette année encore, la Fondation Claude Monet a choisi un dessin humoristique du New Yorker pour illustrer sa carte de voeux. Une princesse un peu dubitative est agenouillée au bord du bassin de Giverny. Un énorme crapaud lui fait de l’oeil et coasse : « Embrasse-moi. Je suis Claude Monet. »
Ce cartoon est signé Arnie Levin, qui a collaboré à l’hebdomadaire américain dès 1974.
Arnie Levin est un drôle de type qui fait des dessins souvent drôles, mais malheureusement parfois incompréhensibles quand on pratique l’anglais comme une langue étrangère, qu’on n’a pas en tête toutes les subtilités de la culture américaine ni les derniers rebondissements de l’actualité outre-Atlantique. Celui-ci a l’avantage d’être très simple à comprendre.
Impossible d’imaginer derrière ce dessin gentillet et frais la personne qui tient le crayon. A l’approche de la soixantaine, Arnie Levin a décidé de devenir biker. Pour vivre à fond sa passion, il s’est fait couvrir le corps de tatouages exécutés par un maître japonais. Le côté baroudeur de ce chauve barbu en impose. C’est un de ces destins comme l’Amérique en a le secret, qui mêle mouvement hippie, engagement dans les Marines, art et rebondissements inattendus.
J’ignore à l’occasion de quel événement artistique Levin a commis le dessin ci-dessus. Mais il n’est pas très difficile de deviner comment, du poncif d’associer Nymphéas et Monet au surnom des Français, froggies, Levin en est venu à composer cette scène. Avec l’aide d’une troisième idée toute faite : le crapaud ensorcelé a besoin du baiser d’une princesse pour redevenir humain. Or chez les frères Grimm, en fait de tendre baiser, la princesse balance le crapaud contre le mur. Passons.
Pourquoi associer tous ces lieux communs ? C’est qu’il y a peut-être dans le dessin de Levin une dimension quasi autobiographique : derrière un physique qui n’est pas celui d’un prince charmant, se cache une personnalité à découvrir. Celle d’un grand artiste.
C’est une invitation à aller au-delà des apparences. La princesse accroupie en position de grenouille n’en est pas une, pas plus que le crapaud n’en est un.
Offrir un voyage par delà les apparences, se prêter au jeu des transformations, voilà bien une des plus belles missions de l’art.
Calendrier DuMont Janvier 2014
Voici la photo de ce mois de janvier sélectionnée par DuMont pour son calendrier 2014 « Monets Garten in Giverny » (le jardin de Monet à Giverny, mais je parie que vous aviez compris). Voilà déjà quatre ans que je suis la photographe de ce calendrier.
Il ne fait pas du tout ce temps-là à Giverny en ce moment, n’allez pas croire. Voilà peut-être un mois qu’il n’a pas gelé. Entre deux gros paquets de nuages que le vent charrie, le soleil fait des percées. Les prés sont verts, pas encore du vert fluo du printemps, mais déjà appétissants si on était des vaches, pleins de tendres pousses de pissenlits. Un temps propice au jardinage, même si les heures agréables sont courtes car la nuit tombe vite.
Mais tout peut changer encore. La belle neige de la photo, c’était le 7 février 2012. Ce jour-là il y avait une bonne épaisseur de neige et du soleil et du ciel bleu. Sans parler du givre magique. Ce n’est plus arrivé depuis.
Monumentale
La scène se passe il y a quelques jours dans un hypermarché d’Ile de France, au rayon des machines à coudre. Je compare à haute voix les mérites des machines en soulignant la fabrication allemande de l’une d’elles, quand un monsieur qui vient d’arriver s’exclame : Ah non alors, je n’achèterai jamais une machine allemande ! Après ce qu’ils ont fait !
Je l’avoue, je n’ai pas su quoi dire. Quand elle atteint de tels sommets, la connerie me dépasse. J’étais stupéfaite, abasourdie. Incrédule : quoi, ça existe encore, des gens comme ça, avec ces idées moisies, aussi périmées que les machines à coudre à pédale ?
Et vous, auriez-vous trouvé une répartie « piquante » ? Et l’affaire Dieudonné, elle vous agace ou elle vous dépasse ?
Monumental
Ca fait un drôle d’effet de lire son nom sur un monument aux morts. Avez-vous le réflexe de chercher le vôtre ? Je parie que oui. Et de lire les prénoms, aussi, classiques ou désuets, petite trace de ce qu’étaient ces jeunes gens.
Donc, ça m’a fait drôle de lire mon nom d’épouse sur ce monument qui se dresse dans une petite ville de la Manche. Bien classé à sa place dans l’ordre alphabétique.
Car ce que je crois savoir de l’histoire de cet arrière-grand-oncle Jules, c’est qu’il n’est pas mort au front. Il y est devenu fou, et il est mort de cette folie peu après.
Ce n’était pas assez pour faire de lui un héros, paraît-il, et longtemps son nom n’a pas figuré sur le monument. Jusqu’à ce que, bien plus tard, son dossier soit réexaminé d’un oeil plus compatissant. Le nom a alors été rajouté en dessous des autres. Et puis un beau jour on a refait le marbre, et remis de l’ordre dans tout ça.
Dans l’album photo de mes grands-parents maternels, il y avait une photo qui m’a longtemps fait bizarre. C’était celle d’un homme en tenue militaire, la tête couverte d’un casque à pointe : le grand-oncle Charles. Les Alsaciens ont combattu sous l’uniforme de l’armée allemande, pour devenir Français à l’armistice.
Deux destins happés par l’Histoire.
J’y ai repensé en refermant le Goncourt, « Au revoir là haut », où les monuments aux morts tiennent une place qui n’est pas petite. Pierre Lemaître parle de la fin de la Première Guerre mondiale avec une ironie légère qui baigne tout le roman, comme pour tenir la réalité à distance. Quel regard porter aujourd’hui sur ces événements d’il y a un siècle, en cette année de commémoration qui va occuper de nombreux collègues ? Quelle est la place de l’émotion ? Du souvenir familial et collectif ? De la littérature ? De la fraternité ? Et surtout, quel sens pouvons-nous donner à l’absurde ?
Cobée
Cette année, les jardiniers de Giverny ont fait pousser des cobées sur les arceaux de la grande allée. La cobée fleurit en été et en automne, elle prend donc bien le relais des rosiers grimpants qui couvrent de fleurs ces mêmes arceaux au printemps.
Il n’y a pas cinquante sortes de cobées, et peut-être même qu’il n’existe que Cobaea scandens en différents cultivars.
Son nom est un hommage au savant espagnol du 16e siècle Cobo. Quant à scandens, c’est la traduction latine de ‘grimpante’, ce qui ne nous avance pas beaucoup.
La cobée est originaire du Mexique, c’est peut-être pour cela que ses fleurs ressemblent vaguement à des sombreros. Pour les anglophones, ce sont plutôt des cloches de cathédrale (cathedral bells) et même, avec un peu d’imagination, une tasse et sa soucoupe (cup-and-saucer vine).
En général la fleur est violette, plus précisément elle est vert pâle quand elle s’ouvre et tourne au violet à maturité, ce qui a l’avantage de présenter plusieurs coloris sur le même pied. Il en existe aussi des blanches, des presque roses et des presque bleues : on n’arrête pas le progrès.
Le plus impressionnant, chez cette plante qu’on cultive en annuelle ici, parce que bon, on n’est pas au Mexique, c’est la rapidité de sa croissance. Entre 7 et 10 mètres en une saison ! Vous vous asseyez devant et vous la regardez se déployer, quasiment à vue d’oeil.
Ca ferait presque peur, cette rage à s’enrouler sur le moindre support, les jardiniers qui aiment bien garder le contrôle seront rassurés de savoir que l’hiver viendra y mettre un terme.
On a pu constater cette vitalité à Giverny, où les cobées faisaient de jolies guirlandes sur les arceaux en octobre. Les jardiniers de la Fondation Monet, bien entendu, ont su bichonner ces grimpantes gourmandes en nutriments et en eau comme il fallait et leur donner l’exposition adéquate.
Ce n’est pas aussi facile que la fureur de vivre de la plante le laisse supposer. Sur le net, de nombreux jardiniers déplorent leurs échecs avec les cobées. De le savoir me console un peu des miens…
Dessiner un chêne
Dessiner un arbre, ça vous dit ? C’est ce que propose un panneau installé dans la forêt de Bizy à Vernon, juste en face d’un beau chêne centenaire.
Si vous êtes un artiste né, vous n’aurez pas besoin de cette aide dans le choix du motif, ni des explications détaillées mises à disposition des novices. Mais vous apprécierez peut-être le banc et la surface plane…
Muni d’une feuille et d’un crayon, installons-nous. Il faut, explique l’auteur malheureusement anonyme de ce panneau, prendre le temps de bien observer ce qui caractérise l’arbre, comme ses branches qui serpentent vers le ciel.
Puis on procède à la mise en place du motif, aux retouches, on grise avec des hachures pour figurer des ombres, et enfin on donne du contraste avec un crayon gras. Résultat sympa, n’est-ce pas ? Ca a l’air si simple vu comme ça…
Cette activité fait partie d’un sentier de découverte des arbres de la forêt de Bizy qui permet d’apprendre à reconnaître les différentes essences présentes, plus nombreuses qu’on ne l’imaginerait. C’est une jolie initiative, plus paisible que les activités sportives suggérées tout au long du parcours du coeur.
Dans ces forêts périurbaines, on est dans la nature, bien sûr, mais l’homme a laissé partout sa trace. Les espèces d’arbres ne doivent rien au hasard, les allées pas grand chose aux animaux. Et le « mobilier forestier », bancs, panneaux, agrès, se fait de plus en plus présent.
J’ai reçu il y a quelques jours le dernier ouvrage de Jean-Michel Derex « La Mémoire des forêts », sous-titré « A la découverte des traces de l’activité humaine en forêt à travers les siècles » (éditions Ulmer). J’avais complètement oublié avoir fourni une photo du cénotaphe de Saint-Mauxe pour ce livre…
Au fil des pages, c’est une balade rafraîchissante sous les futaies à la recherche des usages d’autrefois, du charbon de bois aux mâts des navires, des colombages aux poteaux télégraphiques. On braconne, on vénère, on a peur du loup, et même, tout à la fin, on sort ses pinceaux à Barbizon.
Jean-Michel Derex a arrêté son étude dans le passé, au milieu du 20e siècle. Comme son livre donne une furieuse envie de marcher dans la forêt, même en plein mois de décembre, j’ai filé à Bizy à la recherche des traces humaines. Dans cette ancienne forêt de chasse, c’est toujours l’usage de loisir qui domine, revu au goût du jour.
Quel joli métier vous avez !
En ce moment, ce sont les vacances pour la plupart des guides, dont l’activité est liée à la saison touristique. Vacances ou tout comme. Il reste juste quelques visites.
Imaginez : vous travaillez trois heures par semaine. D’un coup, ne demeure que la partie la plus plaisante du travail, toute lassitude effacée. Je vais au boulot pleine d’anticipation joyeuse, comme si j’allais au cinéma.
Quel métier merveilleux ! Cette fête de rencontrer des gens et de leur parler. De leur raconter des histoires. De répondre à leur soif de comprendre. Cette griserie de les faire rire.
Partager l’émotion. S’émerveiller ensemble. Accueillir leur regard, leurs étonnements. S’appliquer à être un passeur. Un truchement fidèle. Ouvrir des portes, inviter, donner.
C’est un métier qui fait puiser en soi ce que l’on a de meilleur. On reçoit autant qu’on donne : après la visite on est regonflé à bloc, dopé à un truc en -ine, sérotonine ? dopamine ? qui fait de ce métier un bon dérivatif à tous les problèmes personnels. On est obligé d’être concentré, attentif, et souriant. Pas de place pour les soucis.
Oui, c’est un métier merveilleux, un métier de passion, et pourtant ce n’est qu’à Giverny que j’entends les clients me dire : » Quel métier sympa vous avez ! » ou dans sa version anglaise : « What a lovely job you have! »
S’il fait beau et que les conditions de visite sont agréables, c’est presque systématique. C’est un bel endroit pour travailler, n’est-ce pas.
Quand il pleut, bizarrement, ce job ne fait plus de jaloux. Pas davantage quand il faut se frayer un chemin dans des allées bondées.
J’en souris, j’ai l’habitude, à quoi bon mettre en avant aussi les inconvénients ? J’ai appris à répondre aux remarques personnelles par des phrases courtes. Je confesse que j’adore mon métier. Les clients répondent que ça se voit. Fin de l’aparté.
Oui, c’est un bonheur d’exercer ce métier, surtout quand tout se passe bien, c’est-à-dire que le public est bon. Pour que le guide soit au mieux de sa forme, il faut qu’il ait établi une connivence avec ses clients. Dépasser l’information neutre et aller chercher du côté des émotions présuppose qu’une confiance se soit établie.
Une dame habituée des visites guidées m’a dit un jour qu’on sait tout de suite si on est avec un bon guide ou pas. La réciproque est vraie également, on sait vite si l’audience est réceptive ou non. Alors permettez-moi, si j’ose dire, un conseil de pro : la prochaine fois que vous suivrez une visite, soyez bon public, manifestez votre intérêt, riez de bon coeur quand votre guide s’efforce d’être drôle. Vous verrez, vous aussi finirez dopé à un truc en -ine.
Du bleu dans les yeux
Quand on regarde l’étang aux nymphéas de Monet, on voit à peu près ceci.
Des feuilles de nénuphars qui flottent entre des reflets, et qui servent de radeau à des feuilles d’automne.
Il faut un oeil exercé de peintre pour voir plus, mieux, pour voir les couleurs étonnantes qui s’accrochent à la surface luisante des feuilles.
Regardez, c’est fou, c’est bleu…
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